jean-françois renaut
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C’est Paul Faury, le directeur du travail dans les Landes, qui s’est chargé personnellement de caler le rendez-vous. Un rendez-vous à Lesperon, canton de Morcenx, à proximité immédiate des locaux de l’Esat (Établissement et service d’aide par le travail) du Marensin géré par l’association Aviada.
Le lieu n’est absolument pas anecdotique. Il jouxte une parcelle de 6 hectares comptant environ 700 pins qui, avec un bout de forêt communale de 200 pins, est le cœur vert de l’expérimentation menée autour de la relance du gemmage. Le sylviculteur, Philipe Mora, explique pourquoi il accueille ce chantier. « L’idée est de voir si cette filière historique dans les Landes (jusque dans les années 60, on y a compté jusqu’à 30 000 gemmeurs) peut être relancée. » Il est particulièrement attentif à la façon dont ses arbres sont gemmés.
« Les pins sont saignés de façon correcte », avance t-il et normalement des arbres saignés donnent du bois de meilleure qualité, aussi résistant que du chêne. Avec un potentiel bémol néanmoins. « Les huit à dix cicatrices qu’ils portent peuvent faire des nœuds, il faudra voir. »
Bémol : le coût de production
En termes de résine produite, l’objectif de 2,5 tonnes est modeste. Une dizaine de travailleurs handicapés de l’Esat œuvrent en usant de techniques novatrices.
La difficulté majeure dans la relance de la gemme n’est en effet pas constituée par le produit lui-même, d’excellente qualité puisqu’issu d’une forêt certifiée, mais dans son coût de production rapporté à son prix de vente. « Les recherches vont tous azimuts », explicite Paul Faury, « dans le matériel comme dans l’organisation du travail. Le but est de se rapprocher du prix du marché. » Un marché dominé par la Chine et le Brésil qui produisent quasiment toute l’année contre seulement six mois en France. En dessous de 8 à 9° le matin, un pin ne coule pas. Sans compter, c’est loin d’être un détail, le coût de la main-d’œuvre.
En dehors, de la commune de Lesperon, de l’Etat et du Conseil général, qui ont donné respectivement 15 000 et 5 000 euros, plusieurs sociétés sont partenaires de l’opération. L’institut bordelais Rescoll qui assure le portage juridique et financier du projet, l’entreprise bourguignonne Holiste et la dacquoise DRT, acteur majeur du secteur, et sa filiale de Lesperon, Granel qui assurera la distillation de la résine récoltée.
Marchés de niches
En effet, la résine ne peut pas être utilisée telle quelle, il faut que soit séparé les 30 % de térébenthine et les quelque 70 % de colophane. C’est l’essence de térébenthine qui intéresse Marie-Laure Delanef, créatrice d’Holiste, spécialisée dans la santé et le bien-être. « On en utilise 20 tonnes par an et nos besoins augmentent. Aujourd’hui, on s’approvisionne au Portugal parce que le produit y est meilleur. »
Probablement pas meilleur que la bonne gemme de chez nous. « Une qualité comme ça renvoyant à un haut niveau d’exigence environnementale, ça existe peu », poursuit la chef d’entreprise. C’est une de ses motivations au même titre que sécuriser son approvisionnement.
La qualité provient aussi de la façon de récolter. Fini les vieux pots en terre et à l’air libre, place à des « bags in box » fermés ce qui empêche l’évaporation et évite les impuretés.
Si la térébenthine a donc des débouchés, c’est plus complexe pour la colophane. Philippe Sainte-Cluque, directeur des achats à la DRT, l’explique. « Au-delà de 1,6 € le kilo, c’est compliqué pour nous d’acheter. Le prix n’est plus assez compétitif. »
Un enjeu important consistera à trouver une ou des niches pour cette colophane qui, transformée, entre dans la composition d’adhésifs, encre ou chewing-gum.
« Un objectif atteignable, c’est deux fois le prix du marché qui est d’environ 1 euro le kilo de résine », éclaire Luc Leneveu, chef de projet chez Biogemme. Pas sûr que même à ce prix-là, la qualité de la gemme landaise fasse la différence.
De vraies perspectives sont ouvertes mais de nombreuses interrogations subsistent.