Ce croisé venu de Morlaàs
Moins connu que Fébus, un autre Gaston a pourtant vécu une vie aventureuse et a durablement marqué le Béarn. C’était au XIIe siècle, pendant le temps des croisades en Terre sainte.
Il faut l’imaginer dans cette folle chevauchée qui n’avait qu’un but : Grenade. Alphonse Ier d’Aragon à ses côtés, 3 000 à 5 000 chevaliers chrétiens venus de France et d’Espagne, pénétrant la péninsule aux mains des almoravides. Grisés, sans doute par les premières victoires qui avaient vu le roi d’Aragon, et son expérimenté voisin béarnais reprendre aux Maures Saragosse, puis Tudela, Borja, Tarazona, Soria…
Une sorte de première reconquista qui ne portait pas ce nom, et qui en engendra d’autres. À la tête de ce « bataillon d’Espagne », il y avait donc Gaston IV de Béarn, aux exploits déjà chantés dans sa vicomté comme en Aragon, où il fut fait « gouverneur de Saragosse » pour avoir contribué à reprendre la ville, avec Alphonse, toujours.
La gloire et la foi
Est-ce la gloire qui le fait ainsi chevaucher « trasmontes », loin de Morlàas, sa capitale ? Sans doute un peu, même si le chevalier qui porte déjà le nom de « croisé » l’a déjà rencontrée, loin de ses montagnes. C’était en 1099, à Jérusalem. Gaston était parti avec tant d’autres chevaliers gascons, derrière Raymon de Toulouse, aux côtés des Normands, conquérir la ville sainte.
C’est par sa maîtrise des armes de siège, qu’il s’est fait un nom là-bas, en Terre sainte. Il n’avait alors pas 30 ans.
Est-ce la foi, qui le pousse à cette incroyable expédition de plus de 700 kilomètres à travers les terres musulmanes de la péninsule ? Sans doute encore, puisqu’il a contribué à la création de ces fraternités qui unissaient les chevaliers aux côtés du roi d’Aragon, sans les obliger à faire vœu de chasteté et de pauvreté. Et puis, ils ne sont pas nombreux à avoir pris part à deux croisades dans leur vie, le pape Gelase II ayant déclaré « croisade » la prise de Saragosse en 1118.
En cette année 1025, le roi et le vicomte rêvent cette fois de reprendre Grenade, persuadés que les Mozarabes (1), leur ouvriront les portes de la ville. Ils partent donc en territoire maure, au secours de ces chrétiens d’Espagne du sud dans une « chevauchée fantastique qui les conduisit, après avoir contourné Valence, Murcie, Grenade et Cordoue, jusque sur les bords de la Méditerranée. Ils en revinrent chargés de butin et de gloire, mais après avoir usé inutilement leurs forces », rappellent les historiens Pierre Tucoo-Chala et Pierre-Louis Giannerini dans le très beau livre « Aragon, terre d’aventures » (2).
La tête au bout d’une pique
Mais après le temps des conquêtes vint le temps des défaites, rappellent les deux auteurs. C’est au cours de sa chevauchée dans la péninsule que Gaston IV a perdu la vie. On ne sait pas trop où, mais très certainement en mai 1031. Selon bien des historiens, celui que les chroniqueurs arabes appelaient « l’Émir des chrétiens » eut la tête coupée, promenée sur une pique à travers Grenade. Une forme de gloire, finalement, tant l’homme avait fait parler de lui jusqu’à Marrakech…
Son corps fut finalement restitué aux Français contre une forte rançon. Il a été ensuite inhumé dans la basilique Nuestra Señora Del Pilar de Saragosse, où il fut perdu au fil des siècles. Son oliphant d’ivoire est cependant toujours conservé à la Basilique du Pilar.
(1) Les « Mozarabes » étaient les chrétiens qui vivaient dans l’Espagne musulmane médiévale. (2) J & D Éditions, 1996. A lire aussi : « Quand l’Islam était aux portes des Pyrénées », J & D, 1993, de Pierre Tucoo-Chala.