L’affaire des vraies-fausses inscriptions en euskara du site antique d’Iruña-Veleia refait surface; un article de Sud Ouest s’en fait l’écho aujourd’hui (source : http://www.sudouest.fr/2014/11/21/brouilles-de-fouilles-1742825-4018.php) :
Brouilles de fouilles
La découverte en 2006 d’inscriptions en basque datant des Romains interroge
pantxika delobel
p.delobel@sudouest.fr
Demain, sur les coups de 12 h 30, ils déploieront leurs banderoles sur la plaza de la Virgen Blanca de Vitoria (Álava) pour tenter de réhabiliter un archéologue : Eliseo Gil, 53 ans. Car, d’après l’association à l’origine du rassemblement, ce chercheur, que la communauté scientifique d’Euskadi qualifie de « charlatan », serait l’auteur de la plus grande découverte sur les origines de la langue basque. Excusez du peu.
En 2005 et 2006, l’ancien directeur des fouilles réalisées sur le site d’Iruña-Veleia, à une dizaine de kilomètres de la capitale basque, met la main sur de surprenantes inscriptions en euskara. Elles dateraient de l’Empire romain et apporteraient la preuve qu’aux IIIe et IVe siècles après Jésus-Christ, le basque s’écrivait !
« L’équipe a découvert une soixantaine de morceaux de céramiques, parfois de quelques centimètres seulement, sur lesquels étaient gravées des formules simples, comme “Ian” (manger), “Edan” (boire), “Lo” (dormir) », témoigne le Belge Koenraad Van den Driessche, porte-parole de l’association SOS Iruña-Veleia, qui défend envers et contre tous le travail d’Eliseo Gil.
« Révolution copernicienne »
Dans un premier temps, la découverte enthousiasme linguistes et historiens, confrontés au mystère des racines de la langue basque. L’éminent professeur de philosophie, Henrike Knörr (1947-2008) parlera même de « révolution copernicienne ». Jusque-là, les plus anciennes inscriptions, mises au jour dans la Rioja, dataient des Xe et XIe siècles. Mais une fois l’euphorie de l’extraordinaire annonce dissipée, le doute commence à poindre… « La campagne de dénigrement a débuté sur Internet, se souvient le docteur en géochimie Koenraad Van den Driessche. Certains prétendaient qu’il s’agissait d’un euskara trop moderne et familier. »
Les chercheurs qui s’étaient associés à la découverte se rétractent les uns après les autres. Soupçonné d’être lui-même l’auteur de ces graffitis antiques, Eliseo Gil réclame que des experts internationaux analysent les céramiques. Mais c’est une commission de 26 scientifiques de l’université du Pays basque (UPV-EHU) – graphologues, linguistes, historiens, géologues, etc. – qui se saisit du dossier.
Après plusieurs mois d’enquête, le verdict tombe en novembre 2008 : les 65 pièces où apparaissent des inscriptions en basque seraient fausses. « Toutes », tranche alors le docteur Joaquin Gorrochategi, spécialiste de la civilisation indo-européenne.
Néanmoins, SOS Iruña-Veleia dénonce une expertise bâclée – « Les chercheurs ne se sont jamais rendus sur le lieu des fouilles » – et arbitraire. « S’il s’agit vraiment de faux, qu’ils le prouvent ! Il existe des procédés scientifiques pour cela », clame l’association.
Falsification présumée
La société Lurmen, qui avait reçu plus de 3 millions d’euros de subventions publiques pour mener à bien ces fouilles, est renvoyée. Et Eliseo Gil attaqué en justice par la diputación d’Álava pour « falsification présumée du patrimoine ». Pour les besoins de l’instruction, une nouvelle expertise est réalisée. La défense exige l’intervention d’un laboratoire étranger. Le tribunal de Vitoria confie la mission à l’Institut patrimonial d’Espagne, qui parvient aux mêmes conclusions : tout est faux.
« Comment pouvait-il en être autrement, soupire Koenraad Van den Driessche. En Espagne, il y a trop de pression liée aux enjeux politiques d’une telle découverte. » Le Belge poursuit : « Si ces inscriptions s’avéraient authentiques, les chercheurs basques qui ont fait l’expertise seraient décrédibilisés. » Deux d’entre eux, sollicités par « Sud Ouest », ont refusé de répondre. Six ans après l’ouverture de la procédure judiciaire, l’archéologue biscayen, lui, attend toujours son procès.