Intéressante exposition sur la sorcellerie relayée par un article bien documenté de L’Obs. Pourquoi en parler ici? La Gascogne et le Pays Basque étaient terres de sorcellerie et ces provinces payèrent un lourd tribut à ces résurgences païennes (et toujours sous-jacentes à en juger quelques traditions locales bien ancrées) souvent tolérées par le clergé local.

source : http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20160318.OBS6720/exposition-les-sorcieres-fausses-mechantes-et-vraies-victimes.html

EXPOSITION. Les sorcières, fausses méchantes et vraies victimes

EXPOSITION. Les sorcières, fausses méchantes et vraies victimes
Scène de sorcières, par David Teniers II, 1635 ((Bruxelles, collection privée))

Depuis une estampe de Bruegel l’Ancien de 1565, elles chevauchent des balais et s’envolent par la cheminée. Une exposition à Bruges raconte l’histoire de leur représentation et de leur traque.

Pieter Bruegel l’Ancien (vers 1525 -1569) n’est pas seulement un grand peintre. Il est aussi l’inventeur des sorcières. Ou du moins, l’image que l’on se fait d’elles depuis plus de quatre siècles, comme le raconte la formidable exposition « Les sorcières de Bruegel » au musée de l’Hôpital Saint-Jean à Bruges, en Belgique.

En 1565, Jérôme Cock, un important imprimeur et éditeur d’Anvers, lui commande une estampe sur un sujet très vendeur à l’époque : la sorcellerie. Cock espère un gros tirage. Mais le sujet est délicat. L’imprimeur et l’artiste savent qu’ils prennent un risque, celui d’être suspecté de faire l’apologie du mal. On ne plaisante pas avec l’hérésie. Alors ils choisissent habilement d’illustrer un texte apocryphe racontant la confrontation de Saint-Jacques avec un sorcier. Les deux hommes s’affrontent, le saint l’emporte. La sorcellerie reste le sujet de l’estampe, mais la morale chrétienne a le dernier mot.

Estampe de « Saint-Jacques chez le sorcier » de Pieter Bruegel l’Ancien, 1565 (Rijkmuseum Amsterdam)

Le choix de cette histoire ne doit rien au hasard. « Au XVIe siècle, la Flandre est sous domination espagnole » rappelle Ruud Priem, conservateur en chef de l’Hôpital Saint-Jean, « et Saint-Jacques est le patron de l’Espagne ».

En digne successeur de Jérôme Bosch (vers 1450-1516), Pieter Bruegel  peut alors s’atteler au sujet avec la « faconde » graphique qu’on lui connaît. Ca grouillera de personnages grotesques et bizarres, de diablotins, bestioles et sorcières.

Bruegel place le saint au centre du dessin, le sorcier d’un côté, les sorcières à la périphérie, comme les femmes le sont alors dans la sphère publique. L’artiste flamand les représente sous les traits de vieilles laideronnes nues ou mal-fagotées, flanquées de chats maléfiques, chevauchant des balais comme des scooters des airs, ou concoctant des méchantes soupes dans des chaudrons bouillants.

« Saint-Jacques chez le sorcier », détails (Rijkmuseum Amsterdam)

De gauche à droite :

– en orange : le sorcier, Saint-Jacques, reconnaissable aux coquilles saint-jacques qui ornent son bonnet et à son bâton de pèlerin et le diable, représenté sous la forme d’un taureau ;

– en vert : des sorcières, dont l’une sous la forme d’un chat. S’il s’agissait d’un vrai chat et non d’une sorcière, il ne serait pas en conversation avec un petit monstre.

– en bleu: le nom de l’auteur, Bruegel et celui de l’imprimeur, Cock.

Pourquoi le balai ?

Bruegel n’est pas le premier à jucher des sorcières sur des balais. En 1451 déjà, des femmes se déplacent à califourchon sur leur outil de ménage. « Le champion des dames », d’un certain Martin le Franc, est un manuscrit que l’on qualifierait aujourd’hui de pseudo-scientifique. Selon l’ouvrage, les sorcières vaudoises volent vraiment dans les airs !

Vaudoise, Martin le Franc dans « Le champion des dames », 1451, BnF Paris, (C.F)

Au fait pourquoi un balai ? Ces Suissesses ont beau savoir voler, elles n’en restent pas moins des femmes, êtres subalternes cantonnés aux tâches domestiques. La misogynie de l’Eglise catholique d’alors n’a d’égal que son sectarisme. La forme phallique du balai est-elle aussi une allusion à la lubricité supposée des donzelles ?

Elles se livrent en tout cas à de drôles de rites. Lors des sabbats, ces soirées entre sorcières, elles ne se contentent pas de danser autour du diable. Elles lui baisent l’anus. « Losculum infame », le baiser du diable, apparaît pour la première fois en 1460-70 dans un manuscrit offert au roi anglais Edouard IV.

« Scène de Sabbat », détail, 1460, The Bodleian Libraries, Oxford (C.F)

Les quatre personnages, trois sorcières et un nouvel initié, tiennent des cierges montrant ainsi qu’il fait nuit. Le diable, représenté sous la forme d’un bouc, expulse des crottes. La sorcière de droite, en robe rouge, vient d’embrasser son anus. Ses lèvres sont noircies. Maintenant, c’est autour du jeune homme…

« Au départ, il y avait autant de chasse aux sorcières qu’aux sorciers », raconte Ruud Priem, « mais Heinrich Kramer, un inquisiteur dominicain complètement fou, publie « Malleus maleficarum » vers 1490, un traité ciblant uniquement les femmes ». Une sorte de » Mein Kampf » avant l’heure…

Les femmes libertines, rebelles, folles, déficientes, guérisseuses, diseuses de bonne aventure ou celles dont la tête ne revient simplement pas à son voisin ou son curé sont dans la ligne de mire. Entre-temps, vers 1450, Gutenberg a révolutionné l’imprimerie et inventé la presse à bras. Les livres vont être produits en masse et les idées, y compris les plus abracadabrantes, se répandre comme de la poudre. Des pères la Vertu, obsédés par le mal, le sexe et les femmes diffusent leurs écrits délirants à la vitesse d’un cheval au galop.

La révolution de l’imprimerie lance aussi celle des lettres d’information, des crypto-journaux dont certains sont de vrais tabloïds avant l’heure.

Lettres d’information du XVIe siècle (C.F)

A la Une de ces lettres d’information, des compte-rendus d’exécutions de sorcières. Dans l’illustration de droite, à l’arrière-plan, un homme à genoux va être décapité. Le texte explique qu’il est le mari de l’une des deux sorcières brûlées vives et… l’amant de l’autre.

Boucs-émissaires

C’est dans ce contexte que Bruegel réalise le dessin préliminaire à l’estampe. La représentation qu’il donne des sorcières frappe les esprits, y compris ceux des autres artistes. Munies dès lors du balai, du chaudron et du chat, l’iconographie de ces déviantes ne bougera plus.

Pour se protéger de leurs maléfices, chacun s’organise comme il peut. On consulte en douce des sorcières pour annuler les sorts que d’autres auraient jetés, on prie fébrilement, on porte des amulettes. Rien de mieux que le mini-Evangile que l’on a toujours sur soi. Avec ce portable, on est hyper-connecté à Dieu.

Evangile de Saint-Jean, 1683, MAS, Anvers, avec une bague posée sur la vitrine pour donner une idée de sa taille (C.F)

Les sorcières ne poussent pas seulement aux vices. Elles sont responsables de tout ce qui cloche dans le monde.  Le lait tourné ? Un bébé mort-né ? Une infidélité ? Un incendie ? Un puits souillé ? Une récolte gâchée ? Un hiver très froid ? C’est la faute aux sorcières.

« Paysage d’hiver avec une trappe à oiseaux » de Pieter Bruegel le Jeune, d’après Bruegel l’Ancien, 1564-65 (Museum Mayer van den Bergh, Anvers)

Dans la partie gauche du tableau, des personnages pratiquent des sports d’hiver sur une rivière gelée : patinage, jeu de palets… Dans la partie droite, une planche en équilibre va  s’abattre sur des oiseaux, probablement pour être mangés, faute de vrai gibier.

Depuis le XIVe siècle, l’Europe est entré dans le Petit Age Glaciaire (PAG), une période de refroidissement climatique qui perdurera jusqu’au milieu du XIXe siècle, avec des hivers terribles, notamment dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Seule explication : les sorcières ont mitonné dans leur chaudron de méchants nuages qui dérèglent le ciel.

A ces troubles climatiques, s’ajoutent des troubles sociaux. Les pauvres souffrent, meurent d’épidémie ou de faim. Pour contenir leurs révoltes, les rois comme les chefs de l’Eglise pointent les mêmes coupables : le diable et ses servantes. « Les autorités se servaient des femmes pour canaliser la fureur des masses », résume le conservateur. Si, pour Marx, la religion est l’opium du peuple, les sorcières en sont les boucs-émissaires.

Claire Fleury, envoyée spéciale à Bruges

Selon l’historien Jacques Rœhring, auteur de « Procès de sorcellerie aux XVIe et XVIIe siècle » (Ed. Trajectoire, 2016), cinquante mille femmes ont été exécutées en Europe.

« Les sorcières de Bruegel », jusqu’au 26 juin 2016, Sint-Janshospitaal, +32-(0)50-44-46-46

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