De l’anthropologie physique à l’anthropologie sociale. Un entretien particulièrement intéressant paru dans le quotidien Sud-Ouest ce jour (source : http://www.sudouest.fr/2014/08/12/amours-prehistoriques-1640121-2780.php) :
Amours préhistoriques
Une équipe bordelaise du CNRS vient de dévoiler que les premiers hommes éprouvaient de la compassion.
« Sud Ouest ». Vous venez de mener une étude montrant que les tout premiers hommes étaient capables de compassion et d’altruisme envers leurs semblables. Qu’est-ce qui a déclenché ces recherches ?
Hélène Coqueugniot (1). Une de mes collègues, Anne-Marie Tillier, a décidé de rouvrir l’enquête sur un crâne d’enfant découvert avec de nombreuses autres sépultures sur le site de Qafzeh, en Israël, dans les années 1970. Ces sépultures sont celles de tout premiers hommes, datant de 100 000 ans.
Une première étude de ce crâne avait été faite en 1981, montrant une fracture dans la partie frontale. Se doutant que cette fracture n’était pas vraiment bénigne, Anne-Marie Tillier nous a demandé d’utiliser nos nouveaux outils d’imagerie tridimensionnelle pour faire d’autres recherches sur ce crâne.
Comment avez-vous procédé ?
Ce travail nous a pris deux ans. Il a fallu sortir les fossiles du musée, demander des autorisations, faire scanner le crâne de l’enfant à l’hôpital d’Haïfa. À partir des coupes qu’ils nous ont envoyées, nous avons reconstitué le moulage endocrânien de cet enfant de 12-13 ans grâce à un logiciel qu’un des ingénieurs de notre laboratoire a lui-même conçu. Ce logiciel d’imagerie 3D, dédié à l’archéologie et à l’anthropologie, permet des reconstructions tridimensionnelles extrêmement fidèles.
Que vous a-t-il permis de voir ?
En reconstruisant ce moulage, nous avons vu que le choc crânien qu’avait subi cet enfant avait eu aussi un impact sur son cerveau. Selon notre hypothèse, l’enfant a subi ce traumatisme vers l’âge de 6 ans. Il a a stoppé la croissance cérébrale et a provoqué des séquelles cognitives et comportementales. Le choc a eu lieu dans la partie frontale droite, qui correspond aux aires en relation avec le comportement, les relations sociales, les parties cognitives. Cet enfant avait donc un comportement très particulier et des problèmes relationnels avec les autres.
Et pourtant, les autres membres du groupe ont eu un égard particulier pour cet enfant au moment de sa mort…
Oui. Sur le site de Qafzeh, où ont été retrouvées une vingtaine de sépultures, cet enfant est le seul qui a bénéficié d’une offrande au moment de son inhumation. Deux bois de cervidés ont été déposés sur sa poitrine. Le groupe a pris la peine d’offrir à cet enfant une sépulture particulière pour le comportement spécial qu’il avait de son vivant.
Cette découverte est-elle une première mondiale ?
Pour la première fois, nous disposons à la fois de données anthropologiques, paléopathologiques et archéologiques, qui toutes trois corroborent l’hypothèse d’altruisme et de compassion chez les tout premiers hommes modernes de 100 000 ans. Nous avons toutes les preuves réunies pour le démontrer.
Va-t-il y avoir une suite à cette étude (2) ?
Déjà, nous sommes ravis de ces résultats. Faire des découvertes à partir de fossiles d’enfants est plutôt novateur et intéressant, car ils passent souvent après l’étude des squelettes adultes. Sur le site de Qafzeh, il y a d’autres sépultures d’enfants. Anne-Marie Tillier aimerait revoir des choses sur certaines.
(1) Hélène Coqueugniot est anthropologue, directrice de recherche CNRS. Son laboratoire de recherche, « De la préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie » (PACEA), est rattaché au CNRS, à l’université de Bordeaux, au ministère de la Culture et de la Communication et associé à l’INRAP. PACEA fait également partie du Laboratoire d’excellence (Labex) des sciences archéologiques de Bordeaux et de la Fédération des sciences archéologiques. (2) Les résultats de l’étude viennent d’être publiés dans la revue « Plos One ».