Pour rappel, la loi est très claire en la matière : la destruction ou la dégradation d’un site archéologique est punie par l’article 322-3-1 du code pénal de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. Ces peines peuvent être portées à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende selon les circonstances. Hélas, les dégradations commises en France sont longtemps restées impunies et encore aujourd’hui, un simple rappel à la loi est généralement signifié au coupable. Si la dégradation de la motte de Pontenx a été remarquée, c’est probablement qu’au départ, il y a avait aussi dégradation d’un environnement naturel remarquable : d’autres mottes ont été endommagés ces dernières années en Aquitaine, y compris dans les Landes. Qui est au courant que la motte d’Artassenx et sa basse cour ont fait les frais elles aussi de la pelleteuse ? Que la basse cour de celle de Castandet a été démantelée ? Les gens sont parfois soucieux de patrimoine, mais cette vigilance ne s’exerce que dans le périmètre de leurs propres intérêts pour la plupart et ne dépassent pas les limites de leur commune.

Quant à l’affaire dont Sud Ouest rapporte les éléments dans l’article ci-après (source : http://www.sudouest.fr/2015/12/24/pontenx-les-forges-40-des-sanctions-apres-les-degradations-de-la-motte-feodale-2226830-3452.php), s’il y a bien des sanctions, il n’y a en revanche nulle condamnation; bref, un blanc seing pour les futurs destructeurs de sites dans la région :

Pontenx-les-Forges (40) : des sanctions après les dégradations de la motte féodale

Un exploitant forestier avait enchaîné les bourdes cet été. Choquée, dénonçant un « saccage patrimionial », la Sepanso avait piqué une grosse colère

Pontenx-les-Forges (40) : des sanctions après les dégradations de la motte féodale
La motte féodale avait été attaquée à la pelle mécanique. ©

archives Violette artaud

« C’est une cascade de conneries ! « , s’insurgeait cet été Georges Cingal, le président landais de la Fédération régionale des associations de protection de la nature (Sepanso). Sa colère était dirigée vers un exploitant forestier qui enchaînait les bourdes, à Pontenx-les-Forges. L’alerte avait été lancée par un autre exploitant, alors que des manœuvres étaient effectuées sur ses propres parcelles et surtout que la motte féodale du tuc de Monjat, à Pontenx-les-Forges, avait été fortement endommagée.

Pour le maire de la commune aussi, c’en était trop. « Que l’on porte atteinte à la forme d’une motte féodale classée monument historique n’est pas tolérable. Si des procédures sont engagées, la mairie se portera partie civile », livrait sans détour Jean-Marc Billac.

La Fédération Sepanso a informé ce mercredi dans un communiqué que sa colère inhérente à ce « saccage environnemental et patrimonial de la zone remarquable du Tuc de Monjat » n’était pas restée sans effets. Selon le président de la fédération, Georges Cingal, plusieurs non respect de la réglementation ont ainsi été relevés lors d’un constat réalisé le 4 décembre à Pontenx par les agents du Programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) d’Aquitaine.

L’exploitant suspendu

« En conséquence, l’exploitant forestier a été suspendu par l’organisme PEFC, il n’a plus droit de faire usage de sa certification PEFC et de vendre des bois certifiés PEFC », rapporte la Sepanso.

Interrogé sur ces faits en août dernier, le gérant de l’entreprise incriminée, la SAS Gonzalès Bartholomé, reconnaissait avoir commis une  » erreur « , en dépassant les limites de la parcelle de forêt qu’il était censé exploiter. « Les gars se sont plantés dans les plans « , acceptait le gérant acculé.

Quid des dégradations de la motte féodale ?  » Personne ne m’a prévenu « , répondait-il.

 

Une décision de justice qui aura le mérite de faire réfléchir un bon nombre de pilleurs qui s’ignorent et ne sont pas clairs avec leurs pratiques en marge du cadre légal. Non, rechercher du mobilier archéologique pour la revente ou augmenter une collection personnelle, ce n’est pas un loisir, c’est un délit. Celles ou ceux qui veulent partir à la recherche des racines de leurs terroirs peuvent le faire en pratiquant l’archéologie amateur, qui passe d’abord par une rencontre avec les services compétents en la matière (Service Régional de l’Archéologie). Il faut montrer que l’on a les compétences requises pour partir à la recherche des indices du Passé (pas besoin de bac +5, mais de la rigueur), que l’on est décidé à faire avancer l’état des connaissances par un travail de terrain (prospection), d’archives (inventaire) et que l’on accepte de répercuter les différentes observations et découvertes dans un rapport de fin d’année détaillé (rendu en plusieurs exemplaires au SRA ayant accordé l’autorisation). Évidemment, c’est moins facile que d’acheter une poêle à frire pour remplir des vitrines dans son salon sans rendre de comptes à personne. C’est surtout prendre conscience que le Patrimoine est un bien commun qui n’a pas à être privatisé, qu’il s’agisse de monnaies romaines, d’éléments de parure mérovingiens, de silex taillés ou de poteries protohistoriques.

Voici donc l’article paru dans Sud Ouest à propos d’une des plus grosses affaires connues (nous savons tous que d’autres pilleurs sévissent sans être appréhendé…pour le moment) de pillage archéologique (source : http://www.sudouest.fr/2014/08/08/le-vigneron-qui-fouillait-des-sites-archeologiques-condamne-a-197-000-euros-d-amende-1637404-4697.php) :

Le vigneron qui fouillait des sites archéologiques condamné à 197 000 euros d’amende

Un viticulteur de la Marne a été condamné vendredi à une amende douanière de 197 235 euros pour avoir dérobé des centaines d’objets anciens sur des sites archéologiques

Le vigneron qui fouillait des sites archéologiques condamné à 197 000 euros d'amende
Les enquêteurs ont retrouvé plus de 2 300 objets anciens, dont de nombreuses pièces, au domicile du vigneron © Photo

illustration commons.wiki

 

Il se disait simple passionné de détection de métaux, mais le tribunal correctionnel de Meaux en a décidé autrement. Le viticulteur accusé de pillage a été condamné vendredi à une amende douanière de 197 235 euros pour avoir dérobé et revendu des centaines d’objets anciens sur des sites archéologiques de l’est de l’Ile-de-France.L’homme, âgé de 60 ans, a été reconnu coupable d’exécution de fouilles sans autorisation, de vente du produit de ces fouilles et de détention d’objets archéologiques. Il a également été condamné à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis. Son épouse, initialement poursuivie pour « recel », a finalement été condamnée à une amende pénale de 3 500 euros pour « complicité ».

Repérage des sites en avion

Le couple avait été interpellé le 5 février 2012 en Seine-et-Marne lors d’un banal contrôle routier par les douaniers qui avaient retrouvé à bord de son véhicule 112 pièces de monnaie d’époque gallo-romaine et ouvert une enquête. Lors de l’audience, le prévenu avait expliqué qu’il n’était pas « un bandit de grand chemin ». « Je cherchais à la surface de la terre. Les objets étaient là, il n’y avait qu’à les ramasser. Je pensais être dans la légalité », avait-il assuré.

Accusé d’avoir ciblé en connaissance de cause les meilleurs sites de la région, en effectuant notamment un repérage en avion, il a tenté de minimiser la portée de ses recherches, toujours réalisées « avec l’accord des propriétaires » des terrains concernés, mais sans le feu vert de l’État.

Un héritage du grand-père

« Il a privé les archéologues de leurs outils de travail », avait dénoncé le procureur. « Il savait que ce qu’il faisait était contraire à la loi », avait-il ajouté, rappelant qu’un article de presse sur les « ravages » du pillage archéologique avait été retrouvé à son domicile.

Chez lui, les enquêteurs avaient également mis la main sur un véritable petit musée : quelque 2 300 objets, des pièces de monnaie, des poteries, des bagues, des colliers, dont certains pillés dans des tombes. Le vigneron affirme qu‘une partie de cette collection a été découverte par son grand-père, qui l’a initié et la lui a transmise en héritage.

Vendredi, le tribunal a ordonné la confiscation de cette collection ainsi que sa restitution à l’État, en l’occurrence au ministère de la Culture qui s’était constitué partie civile dans ce dossier. « Nous prenons acte de la décision du tribunal et de la restitution des objets. En accord avec le conservateur, ils devraient être exposés au musée de l’archéologie nationale, à Saint-Germain-en-Laye » (Yvelines), a-t-il déclaré à l’issue du délibéré.

 

A une époque où l’on voit pulluler sur des sites internet bien connus des annonces de vente d’objets archéologiques par milliers et où dans le même temps, des forums de discussion soutiennent que l’on peut impunément se servir dans les archives du sol (avec ou sans détecteur de métaux, ne pas oublier le pillage récurrent des sites préhistoriques) pour en arracher des objets destinés au mieux à orner des vitrines, au pire à être revendus pour arrondir des fins de mois difficiles, il n’est jamais inutile de rappeler la loi. Chercher des fibules, des pointes de flèches, des monnaies romaines, des bifaces ne sera jamais un « loisir » pratiqué sans autorisation des SRA et sans comptes à rendre (déclarations, rapports). Le Patrimoine appartient à la collectivité et n’a pas à être privatisé sans contrôle, sans garantie sur son devenir, en dehors de tout cadre légal, de tout inventaire et de toute étude scientifique.

La fouille
Code du Patrimoine – Livre V – Titre III
– Article L.531-1
– « Nul ne peut effectuer sur un terrain lui appartenant ou appartenant à autrui des fouilles ou des sondages à l’effet de recherches
de monuments ou d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans en avoir au préalable obtenu l’autorisation ».
– Article L.542-1.
« Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, à l’effet de recherches de monuments et d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie ».

Le trafic, le recel, la vente
Article L.544-4 du code du patrimoine

– « Le fait, pour toute personne, d’aliéner ou d’acquérir tout objet découvert en violation des articles L. 531-1, L. 531-6 et L. 531-15 ou dissimulé en violation des articles L. 531-3 et L. 531-14 est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 4 500 euros. Le montant de l’amende peut être porté au double du prix de la vente du bien. La juridiction peut, en outre, ordonner la diffusion de sa décision dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »
Art.321-1 du code pénal
Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit. Le recel est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375000 euros d’amende.

Voir aussi ce très instructif blog où l’on découvre toute l’ampleur du pillage archéologique en Europe : http://agir-contre-le-pillage.over-blog.com/

Saluons la rédaction du quotidien Sud Ouest, journal généralement plutôt prompt comme beaucoup d’autres à diffuser des articles sur d’anonymes passeurs de détecteurs de métaux qui avouent à demi mot se ficher comme d’une guigne de la loi. Avant, ces types-là bénéficiaient d’une image candide de doux dingues leur permettant d’intéresser les correspondants locaux en mal de marronniers estivaux et d’ainsi tromper leur monde. Aujourd’hui, ils ne font plus guère illusion comme le montrent les nombreux articles à charge parus dans divers organes de presse régionale.

Publié donc ce jour dans Sud Ouest (source : www.sudouest.fr/2014/03/08/l-obscure-traque-des-pillards-de-l-histoire-1484622-2461.php) :

L’obscure traque des pillards de l’Histoire

Publié le 08/03/2014 à 06h00 , modifié le 08/03/2014 à 08h43 par

Sylvain Cottin

Alors qu’une nécropole gallo-romaine vient d’être pillée dans l’Aube, plus de 520 000 objets archéologiques disparaîtraient chaque année de notre sous-sol.

Ce n’est certes pas le Louvre ni Lascaux que l’on cambriole, mais c’est au moins les fondations de l’histoire de la France que l’on ébranle. Par des trous de taupes géantes, creusés sans relâche dans l’Hexagone, plus de 520 000 objets archéologiques et historiques seraient dérobés chaque année à notre sous-sol, selon une estimation de l’association Happah (1).

L’impressionnant butin est aujourd’hui confirmé à mots couverts par le ministère de la Culture. « Le problème est que l’on ne sait pas exactement ce qui est volé, puisque nous n’en retrouvons que les stigmates, mais, à chaque fois, nous portons plainte », reconnaît Marc Drouet, sous-directeur chargé de l’archéologie. « La préoccupation est telle que nous devons former des gendarmes, des douaniers et des magistrats afin de lutter contre ce pillage. »

25 000 « détectoristes »

Des vols parfois sans effraction perceptible, mais un véritable casse du siècle et des millénaires précédents. Des chapelles mérovingiennes en ruine jusqu’aux villages antiques, en passant, comme cette semaine encore dans l’Aube, par une nécropole gallo-romaine, l’affaire n’a désormais plus rien d’artisanal.

Conjuguée à l’explosion des forums sur Internet, la démocratisation des détecteurs de métaux pousse ainsi chaque semaine près de 20 000 amateurs à labourer le terroir, plus ou moins clandestinement. Selon les confidences du site de vente aux enchères eBay, un millier au moins d’objets suspects seraient quotidiennement mis en ligne en France.

« Jusqu’aux années 2000, les prospecteurs devaient être inscrits dans des associations et apprendre de longues années durant l’Histoire avant de la pratiquer sur le terrain », explique le scientifique Jean-David Desforges, président de l’Happah et coauteur du futur « livre blanc » sur les bonnes mœurs archéologiques. « Aujourd’hui, deux ou trois clics suffisent, et ils sont quatre fois plus nombreux.

Avec la complicité des marchands de détecteurs, qui fournissent en même temps pelles, pioches, lunettes de vision nocturne et bons conseils en boutique, l’amateur se retrouve très rapidement – sans forcément le savoir – inséré dans une filière de professionnels du recel et de la revente », s’indigne-t-il.

Revente sur Internet

Déjà considérés comme les « Thénardier de la mémoire » par Frédéric Mitterrand, ceux-là semblent plus que jamais dans le collimateur de sa remplaçante au ministère. Annoncée pour cette fin d’année, la réforme du Code du patrimoine pourrait alors sonner le glas de la détection de loisir, mettant hors la loi tout particulier jouant de ces fameuses poêles à frire.

« Rien n’est fait, tempère Marc Drouet, mais beaucoup trop de choses se retrouvent illégalement sur Internet ou dans des brocantes, sans aucune justification de provenance. Il ne faut guère s’en étonner, puisque le moindre détecteur est quasiment vendu avec la carte archéologique de la Gaule… » Sauf à mettre un gendarme derrière chaque fondu d’Histoire, le flagrant délit paraît en revanche mission impossible. « Cette surveillance est réelle, mais nous misons surtout sur celle du Web. »

Parmi les terres agricoles ou littorales à la surface, desquelles remontent d’innombrables forfaits, le Sud-Ouest brille lui aussi des mille feux de ses trésors suspects. La paternité des 30 000 pièces de bronze de L’Isle-Jourdain (Gers), récemment découvertes en plein champ par deux prospecteurs du cru, se réglera par exemple devant les tribunaux, tant l’État doute que le hasard ait ici bien fait les choses. Pas plus d’ailleurs que parmi ces blockhaus du mur de l’Atlantique, ressuscitant moult trésors de guerre à chaque fin de semaine.

Car si la loi française récompense à parts égales inventeur (c’est-à-dire découvreur) et propriétaire du terrain, en revanche elle n’accorde pas la charité aux expéditions préméditées. Ainsi, selon le Code civil, chercher n’est pas trouver dès lors que la découverte n’a rien de « fortuit ».

Des bandes organisées ?

Face à la subtilité d’une loi qui frise, entre les lignes, l’absurde, les nombreuses et influentes associations de prospecteurs hurlent au procès d’intention (ci-dessous), dénonçant des bandes organisées venues des pays de l’Est. « C’est une possibilité, reconnaît un gendarme expert en la matière, mais les pillards viennent de l’Europe entière, notamment d’Angleterre. »

En quête de monnaies, d’armes, de poteries ou de bijoux, ceux-là s’inviteraient chaque week-end à une vraie opération portes ouvertes de la Basse-Normandie. « Nous savons que des équipes font l’aller-retour en ferry, n’hésitant pas à enrôler des petites mains sur place. »

(1) Halte au pillage du patrimoine archéologique et historique.

Outre l’investiture prochaine d’Arnaud Littardi comme directeur de la DRAC Aquitaine, nous tenions surtout à saluer la nomination à la tête du Service Régional de l’Archéologie de Nathalie Fourment.

Conservateur du Patrimoine, elle travaillait déjà dans le Service depuis quelques années. Préhistorienne de formation, sa thèse, soutenue en 2002 à l’Université de Toulouse 2, était intitulée « La question des sols et niveaux d’habitat du Paléolithique supérieur au Mésolithique : développement d’approches méthodologiques pour l’analyse spatiale de quatre sites entre Massif central et Pyrénées » (dir. : Michel Barbaza). Elle succède à Dany Barraud, présent à ce poste depuis le début des années 90.

Pour en savoir plus sur Dany Barraud, un homme qui aura profondément marqué le paysage archéologique de l’Aquitaine , nous vous conseillons l’article élogieux que lui a consacré le quotidien Sud Ouest le 29 décembre 2012 :

Par Jacques Ripoche

 

De Coutras à Cussac, les émotions du conservateur

Dany Barraud, conservateur régional depuis vingt ans, quitte Bordeaux pour Paris. Natif de Coutras (33), il avait commencé sa carrière chez lui en fouillant une nécropole.

Le Girondin Dany Barraud va travailler à la préparation de la loi Filippetti sur le patrimoine.

Le Girondin Dany Barraud va travailler à la préparation de la loi Filippetti sur le patrimoine. (Photo Thierry David)

Dany Barraud, 57 ans, rejoint, en qualité d’inspecteur, la Direction générale du patrimoine au ministère de la Culture. Désormais chargé du quart ouest de la France, il va également travailler à la préparation de la loi Filippetti sur le patrimoine, ainsi qu’au livre blanc sur l’archéologie. À l’heure de son départ, retour sur une longue et riche carrière dans la région. Morceaux choisis.

1 Les grandes émotions

« Elles sont nombreuses. La première remonte à 1977. Avec quelques copains, nous avions fondé le Groupement de recherches historiques et archéologiques de Coutras (33), ma commune d’origine. La fouille de la nécropole autour de l’église locale a révélé des sépultures du VIe siècle. Intactes. Les bijoux sont aujourd’hui exposés au musée d’Aquitaine.

Par la suite, en tant que vacataire, j’ai participé aux fouilles de l’îlot Saint-Christoly, à Bordeaux. Un chantier extraordinaire : on y a retrouvé les vestiges de l’ancien port du IVe siècle, avec ses quais en bois et ses entrepôts bien conservés, sur plusieurs niveaux. Je ne peux pas oublier non plus la mise au jour d’une grande ville romaine au cœur du Médoc, à Saint-Germain-d’Esteuil. Les fouilles de la place Camille-Jullian à Bordeaux (1989-1990) sont aussi un souvenir marquant. Elles ont livré les vestiges de la vie de tout un quartier, du Ier siècle jusqu’à l’époque médiévale. Le chantier était totalement ouvert, très suivi par « Sud Ouest » : Patrick Espagnet y avait consacré une douzaine de pages. Un livre sur ces fouilles vient de sortir (1). Mais ma très grande émotion, en tant que conservateur, reste évidemment la découverte, en 2000, de la grotte de Cussac (24) par le spéléologue Marc Delluc : le « Lascaux de la gravure », un site d’un intérêt scientifique mondial majeur, avec des squelettes à l’intérieur, toujours étudié par le professeur Jacques Jaubert. Ça fait quelque chose de pénétrer dans un lieu où personne n’était entré depuis vingt mille ans (2) ! »

2 Des fouilles pas toujours comprises

« On fait facilement à l’archéologie le procès de retarder les chantiers et donc de coûter de l’argent aux promoteurs. Les gens pensent que nous voulons tout fouiller. Ça n’est pas vrai. Nous recevons environ 2 000 dossiers d’urbanisme par an : nous en retenons une centaine, et seule une quarantaine font l’objet de fouilles préventives. Si on travaille bien en amont avec les aménageurs, il n’y a pas de retard. Parfois, cela peut être assez conflictuel. Trouvant que le chantier de la déviation sud de Bergerac (24) n’avançait pas assez vite, le député-maire de l’époque, Daniel Garrigue, avait déposé un amendement parlementaire pour faire modifier la loi sur les fouilles préventives. Le problème était que le tracé, sur le plateau de Pécharmant, recoupait un très riche site du paléolithique. Le Bergeracois, c’était la Ruhr de la préhistoire ! Mais le plus souvent ça se passe bien. Par exemple, en accord avec le promoteur, il n’y aura pas de parking souterrain sous l’îlot « Sud Ouest » (10 000 mètres carrés), au cœur de Bordeaux. Sinon, on aurait détruit le bassin portuaire gaulois et romain de la ville. Il restera enterré. J’ajoute que nous travaillons plutôt bien avec les maires en zone rurale. Car l’archéologie, pour eux, présente aussi un enjeu économique. »

3 Ce qu’il reste à faire

« On peut toujours espérer d’autres grottes ! Mais le grand chantier à venir est celui des deux LGV sud en direction de Toulouse et de l’Espagne, si elles se font : 400 kilomètres de tracé dans des secteurs archéologiquement plus sensibles que pour l’autoroute A 65. On envisage de 80 à 100 fouilles portant sur toutes les époques possibles d’occupation humaine. Par ailleurs, si l’on commence à avoir une vision assez précise du Bordeaux antique, le forum, qui était le lieu de la vie politique, reste à découvrir.

La monumentale porte de Mars, qui marquait l’entrée principale de Périgueux du temps des Romains, n’a pas encore été dégagée. On aimerait bien savoir aussi ce qu’il y a derrière les remparts antiques de Bayonne. Bref, la matière ne manque pas. »

4 Des techniques qui évoluent

« Depuis près de quarante ans que je m’intéresse à l’archéologie, les techniques ont considérablement évolué. Par exemple, à partir de graines, on peut aujourd’hui reconstituer des paysages. La génétique offre de nouvelles opportunités. Le géoradar permet une prospection toujours plus précise. Il existe trois laboratoires d’excellence à Bordeaux, dont la compétence est reconnue internationalement. La législation aussi a bougé : les lois de 2001 et de 2003, la création de l’Inrap (3) nous ont donné les moyens de travailler. Le comportement du public a également changé. Quand nous avons ouvert les sarcophages à Coutras, en 1977, les gens étaient curieux de voir ça.

Aujourd’hui, on nous reproche facilement de ne pas respecter les morts. Pourtant, nous prenons grand soin des restes étudiés et leur donnons une nouvelle sépulture. En réalité, les fouilles sauvent les restes humains de la pelle mécanique. Nous devons aussi être très vigilants face au pillage, qui a déjà donné lieu à des condamnations en Dordogne et dans les Pyrénées-Atlantiques. »

(1) « Un quartier de Bordeaux du Ier au VIIIe siècle », sous la direction de Louis Maurin, éd. Ausonius, 436 p., 20 €. (2) La grotte de Cussac, en Dordogne, est et restera fermée au public. Son relevé numérique est en cours. (3) Institut national de recherches archéologiques préventives.