Source : http://www.sudouest.fr/2017/09/30/leurs-mondes-engloutis-3821480-3350.php
Landes : comment les archéologues explorent les fonds du lac de Sanguinet
Publié le par MARGAUX DZUILKA.Depuis quarante ans, des archéologues bénévoles explorent les fonds du lac. Ils ont mis au jour huit sites d’occupation humaine||INSOLITE Trois mille ans d’histoire gisent sous l’eau, à Sanguinet, l’un des sites subaquatiques les plus riches de France.
Voilà près de quarante ans que l’aventure plonge inlassablement ces passionnés dans les profondeurs du lac de Sanguinet. Avec patience, ils remontent des trésors, témoignages d’une vie passée.
Il est 9 heures, une pluie de fin d’été déferle sur Sanguinet. Comme chaque samedi depuis près de quarante ans, les plongeurs du Cress (Centre de recherches et d’études scientifiques de Sanguinet) se retrouvent à l’espace Gemme, dans un
local prêté par la municipalité. Ce matin, ils sont un peu moins que d’habitude. Il y a André Tartas, le président, Bernard Dubos, l’historique responsable du dépôt de fouille, Michel, Romuald et Pierre, proviseur à la retraite.
Le Cress compte 18 plongeurs membres, dont huit très assidus. Des menuisiers, mécaniciens, instituteurs ou encore militaires, qui donnent de leur temps pour comprendre l’histoire des villages engloutis de Sanguinet. « On était tous plongeurs à la base, c’est ça qui nous a amenés à l’archéologie », indique Bernard Dubos, le doyen de l’association, 72 ans, dont près de quarante passés au sein du Cress. « Ils sont tellement investis qu’ils sont capables de retrouver des pièces minuscules enfouies dans les sédiments », assure Corinne de Checchi, responsable du musée du Lac de Sanguinet, où sont exposés ces vestiges.
Trois mille ans d’histoire
Comme la plupart du travail archéologique effectué dans l’Hexagone, celui des plongeurs du Cress est effectué bénévolement. L’équipe est gérée par le Drasm (Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines) de Marseille et financée pour moitié par le Service régional de l’archéologie (SRA) et par le Département des Landes.
Direction le port. « Voilà notre vieille barge ! », lance Bernard Dubos, en pointant l’embarcation à fond plat qui leur permet, depuis 1980, de naviguer sur l’étendue gris bleu. L’ancien technicien à l’IUT de Bordeaux barre pendant que les plongeurs chargent palmes, bouteilles d’air comprimé, combinaisons et ceintures lestées. L’équipage à bord, la barge s’éloigne du port. « Ce sont près de trois mille ans d’histoire qui défilent sous nos pieds », sourit Bernard, en retraçant les différentes étapes de la formation de cette surface de désormais 55 kilomètres carrés.
L’ancienne voie gallo-romaine
Durant le premier âge du fer (vers 600 ans avant Jésus-Christ), le lac faisait un cinquième de sa superficie actuelle. Les vestiges les plus récents appartenant au site gallo-romain se trouvent à 4 mètres de profondeur. Les plus anciens, appartenant à l’âge du bronze, se cachent dans les sédiments au fond du lac, 18 mètres en dessous de la surface. « Plus on recule dans le temps, plus on s’enfonce dans l’eau », résument ces passionnés.
Leurs découvertes successives (pirogues en bois, céramiques, monnaie) leur permettent d’imaginer la vie de leurs ancêtres.
« Quand on découvre un arbre déraciné au fond de l’eau, par exemple, on comprend qu’ils ont subi la montée des eaux et on se dit qu’il y a des périodes où ils ont vraiment dû avoir des moments difficiles », lance Bernard.
Ce matin, les plongeurs se mettent à l’eau pour aller étendre un cordeau à 4 mètres de profondeur, et ainsi relier les pieux qui délimitaient l’ancienne voie gallo-romaine, reliant Bordeaux à Dax. « Comme ça, même si du sable ou des sédiments se déposent sur les pieux, ils resteront visibles », indique André Tartas, en enfilant sa combinaison. Cette mission fait partie de la prospection mise en place par l’équipe du Cress. Cette année, ils n’ont pas reçu d’accréditation pour effectuer des fouilles, ils ne remontent donc aucun objet. À eux de référencer les sites, cette année.
Alors chaque samedi, les scaphandriers au service du ministère de la Culture s’exécutent. Ils plongent, numérotent, triangulent, cartographient. Ils entretiennent le matériel de plongée et de fouille, gèrent le mobilier archéologique, inventorient, classent. Depuis cette année, pour constituer un fonds documentaire, les « fouilleurs » sont chargés de filmer chacune de leurs opérations à l’aide d’une GoPro. Ces compétences, ils les ont acquises au fil des ans, grâce à des scientifiques venus leur prêter main-forte, ou encore à la grande bibliothèque qu’ils se sont constituée dans leur local.
Les plongeurs remontent à la surface.
Aucun ne semble se lasser de ce rituel hebdomadaire, physique et laborieux. « Plus on cherche, plus on trouve, plus on a envie de plonger pour découvrir encore plus de choses », résume le président. Bernard ajoute : « Si ça se trouve, là, juste en dessous de nous, il y a des vestiges plus importants que tout ce que l’on a étudié jusqu’alors ! » Les deux s’accordent pour dire qu’ils laisseront le soin à la nouvelle génération de poursuivre l’exploration. Parmi elle, le coordinateur scientifique de l’association, Guillaume Parpaite, Parentissois, actuellement en formation d’archéologie subaquatique. La suite de ce riche passé n’a pas fini de s’écrire.
en chiffres
_ 39 Le nombre de pirogues retrouvées au fond du lac de Sanguinet
_ 1600 La date à laquelle remonte la plus récente
_ – 1500 Période à laquelle a été datée la plus ancienne pirogue
_ 10 mètres La taille de la plus grande pirogue mise au jour
_ 4 Nombre de pirogues construites en chêne. Les autres sont fabriquées avec du pin maritime.
Qu’y a-t-il sous les eaux du lac ?
En – 1700, un petit cours d’eau antique appelé La Gourgue s’écoulait depuis Sanguinet jusque dans l’océan. Au fil du temps, avec l’apparition des dunes qui ont empêché son déversement, la rivière a donné naissance au lac. Ces déformations progressives ont entraîné le déplacement des différentes populations protohistoriques.
Les recherches subaquatiques du Cress ont permis, en quarante ans, de révéler la présence de huit zones d’occupation humaine, s’étendant de l’âge de bronze (1700 avant J.-C.) à l’époque gallo-romaine (300 après J.-C). Les premières découvertes ont eu lieu en 1970, lorsqu’une équipe de plongeurs du Bordeaux Étudiants Club (BEC) découvre par hasard les ruines d’un temple gallo-romain. En 1976, Paul Capdevielle fonde le Centre de recherches et d’études scientifiques de Sanguinet pour structurer les travaux de recherche et éviter le pillage. S’en suivent des années de recherches et de découvertes qui font du site de Sanguinet l’un des plus importants de l’Hexagone.
M. D.