Saluons la rédaction du quotidien Sud Ouest, journal généralement plutôt prompt comme beaucoup d’autres à diffuser des articles sur d’anonymes passeurs de détecteurs de métaux qui avouent à demi mot se ficher comme d’une guigne de la loi. Avant, ces types-là bénéficiaient d’une image candide de doux dingues leur permettant d’intéresser les correspondants locaux en mal de marronniers estivaux et d’ainsi tromper leur monde. Aujourd’hui, ils ne font plus guère illusion comme le montrent les nombreux articles à charge parus dans divers organes de presse régionale.
L’obscure traque des pillards de l’Histoire
Publié le 08/03/2014 à 06h00 , modifié le 08/03/2014 à 08h43 par
Sylvain Cottin
Alors qu’une nécropole gallo-romaine vient d’être pillée dans l’Aube, plus de 520 000 objets archéologiques disparaîtraient chaque année de notre sous-sol.
Ce n’est certes pas le Louvre ni Lascaux que l’on cambriole, mais c’est au moins les fondations de l’histoire de la France que l’on ébranle. Par des trous de taupes géantes, creusés sans relâche dans l’Hexagone, plus de 520 000 objets archéologiques et historiques seraient dérobés chaque année à notre sous-sol, selon une estimation de l’association Happah (1).
L’impressionnant butin est aujourd’hui confirmé à mots couverts par le ministère de la Culture. « Le problème est que l’on ne sait pas exactement ce qui est volé, puisque nous n’en retrouvons que les stigmates, mais, à chaque fois, nous portons plainte », reconnaît Marc Drouet, sous-directeur chargé de l’archéologie. « La préoccupation est telle que nous devons former des gendarmes, des douaniers et des magistrats afin de lutter contre ce pillage. »
25 000 « détectoristes »
Des vols parfois sans effraction perceptible, mais un véritable casse du siècle et des millénaires précédents. Des chapelles mérovingiennes en ruine jusqu’aux villages antiques, en passant, comme cette semaine encore dans l’Aube, par une nécropole gallo-romaine, l’affaire n’a désormais plus rien d’artisanal.
Conjuguée à l’explosion des forums sur Internet, la démocratisation des détecteurs de métaux pousse ainsi chaque semaine près de 20 000 amateurs à labourer le terroir, plus ou moins clandestinement. Selon les confidences du site de vente aux enchères eBay, un millier au moins d’objets suspects seraient quotidiennement mis en ligne en France.
« Jusqu’aux années 2000, les prospecteurs devaient être inscrits dans des associations et apprendre de longues années durant l’Histoire avant de la pratiquer sur le terrain », explique le scientifique Jean-David Desforges, président de l’Happah et coauteur du futur « livre blanc » sur les bonnes mœurs archéologiques. « Aujourd’hui, deux ou trois clics suffisent, et ils sont quatre fois plus nombreux.
Avec la complicité des marchands de détecteurs, qui fournissent en même temps pelles, pioches, lunettes de vision nocturne et bons conseils en boutique, l’amateur se retrouve très rapidement – sans forcément le savoir – inséré dans une filière de professionnels du recel et de la revente », s’indigne-t-il.
Revente sur Internet
Déjà considérés comme les « Thénardier de la mémoire » par Frédéric Mitterrand, ceux-là semblent plus que jamais dans le collimateur de sa remplaçante au ministère. Annoncée pour cette fin d’année, la réforme du Code du patrimoine pourrait alors sonner le glas de la détection de loisir, mettant hors la loi tout particulier jouant de ces fameuses poêles à frire.
« Rien n’est fait, tempère Marc Drouet, mais beaucoup trop de choses se retrouvent illégalement sur Internet ou dans des brocantes, sans aucune justification de provenance. Il ne faut guère s’en étonner, puisque le moindre détecteur est quasiment vendu avec la carte archéologique de la Gaule… » Sauf à mettre un gendarme derrière chaque fondu d’Histoire, le flagrant délit paraît en revanche mission impossible. « Cette surveillance est réelle, mais nous misons surtout sur celle du Web. »
Parmi les terres agricoles ou littorales à la surface, desquelles remontent d’innombrables forfaits, le Sud-Ouest brille lui aussi des mille feux de ses trésors suspects. La paternité des 30 000 pièces de bronze de L’Isle-Jourdain (Gers), récemment découvertes en plein champ par deux prospecteurs du cru, se réglera par exemple devant les tribunaux, tant l’État doute que le hasard ait ici bien fait les choses. Pas plus d’ailleurs que parmi ces blockhaus du mur de l’Atlantique, ressuscitant moult trésors de guerre à chaque fin de semaine.
Car si la loi française récompense à parts égales inventeur (c’est-à-dire découvreur) et propriétaire du terrain, en revanche elle n’accorde pas la charité aux expéditions préméditées. Ainsi, selon le Code civil, chercher n’est pas trouver dès lors que la découverte n’a rien de « fortuit ».
Des bandes organisées ?
Face à la subtilité d’une loi qui frise, entre les lignes, l’absurde, les nombreuses et influentes associations de prospecteurs hurlent au procès d’intention (ci-dessous), dénonçant des bandes organisées venues des pays de l’Est. « C’est une possibilité, reconnaît un gendarme expert en la matière, mais les pillards viennent de l’Europe entière, notamment d’Angleterre. »
En quête de monnaies, d’armes, de poteries ou de bijoux, ceux-là s’inviteraient chaque week-end à une vraie opération portes ouvertes de la Basse-Normandie. « Nous savons que des équipes font l’aller-retour en ferry, n’hésitant pas à enrôler des petites mains sur place. »
(1) Halte au pillage du patrimoine archéologique et historique.