Cro-Magnon a peint ici : Arudy comme point de départ

La grotte Tastet abrite la seule peinture rupestre du Béarn. Une (re) découverte.

Partons entre 18 000 et 14 000 années en arrière. Sur un versant du coteau où apparaîtra, un jour, le village de Sainte-Colome. Et imaginons un instant. Cro-Magnon et ses compagnons de chasse sont assis près du feu, devant leur abri sous roche qui domine l’entrée de la vallée d’Ossau. Le paysage est essentiellement minéral. Pas vraiment de forêt autour d’eux. Mais des steppes sur lesquelles s’abat un vent froid et sec.

Ils n’imaginent pas la puissance du glacier qui, placé plus haut désormais en raison de sa fonte, a façonné tout leur environnement immédiat. En revanche, ils sont particulièrement intéressés par les bisons, chevaux et autres rennes de la région. Ils préparent tranquillement leurs armes. Demain est un grand jour. Pour la première fois, ils prévoient d’utiliser des lames de silex bergeracois dont le grain fin, de grande qualité, est très recherché en ces temps-là…

Juillet 2013. Sous une bâche bleue, à plat ventre ou à genoux, d’autres hommes ont pris le relais sur le site : des archéologues. Ils grattent le sol à l’aide de leurs pinceaux, mesurent d’improbables indices et procèdent même à des relevés en 3D. Ils lavent des cailloux dans des bassines à la recherche du moindre fragment d’os. Partout, les arbres ont poussé. La terre végétale a recouvert les calcaires. Il fait chaud et humide : 32 degrés.

Bison rouge et gravures

La petite falaise a beaucoup changé depuis le paléolithique supérieur. De nos jours, la seule entrée possible de la grotte (1) ressemble à celle d’un terrier. Il faut ramper pour découvrir la petite cavité où trois ou quatre personnes seulement peuvent ensemble tenir debout. À ce stade des investigations, nul ne sait où se situe désormais le porche d’origine. Les recherches relancées depuis seulement un an pourront, peut-être, un jour permettre de le recouvrer.

Jean-Marc Petillon, préhistorien du CNRS, dirige les fouilles menées par une dizaine d’étudiants et de bénévoles. Pour lui, le site est remarquable en dépit de sa petite taille. La seule peinture rupestre du Béarn connue en ce début du XXIe siècle se cache là, sur un bout de paroi qui ne paie pas de mine.

Un aplat rouge met en valeur un bison gravé. Le dos est délimité par le dessin naturel de la roche. Une autre gravure de bison et de deux autres chevaux se concentrent dans un mètre carré. « Ces gravures sont difficiles à lire », reconnaît le scientifique. « Mais on les identifie bien quand même. La bonne nouvelle c’est que cette peinture est bien conservée. Il est même raisonnable de penser qu’il en existe d’autres ailleurs. »

Des silex taillés

L’exploration de cette grotte a été poussée jusqu’à un boyau d’une trentaine de mètres et ses ramifications. Sans rien donner. « Cette peinture est située sur un site opposé au versant d’Arudy où se concentrent six autres grottes connues mais qui ne sont pas ornées. On peut penser que s’est posé un problème de conservation. Il est aussi possible que d’autres grottes restent à découvrir. »

Cette deuxième session de fouilles qui vient de se terminer a permis de récolter beaucoup de silex taillés et des éclats propres à l’industrie magdalénienne. « Cela fait vraiment zone de chasse, il n’y a pas de doute », commente Jean-Marc Petillon. « Nous sommes en particulier tombés sur plusieurs lames ou morceaux de lames de silex issus des gisements de la région de Bergerac en Dordogne. De quoi démontrer une nouvelle fois que les matériaux circulaient. Les nomades étaient en relation entre eux. »

Le coup de pattes du blaireau

Chez les spécialistes, la grotte au bison rouge fait parler d’elle depuis 1967. Son inventeur est le spéléologue Minvielle. Les préhistoriens l’apprennent en 1970 à l’occasion d’un article publié dans une revue de spéléologie. Lors de leur visite, les premiers chercheurs avaient repéré quelques grattoirs en surface sans pour autant dire si un habitat spécifique était associé au site. L’action inattendue d’un blaireau a tout relancé en 2002. Celui-ci avait choisi d’y faire son trou. En projetant la terre, il n’a certainement pas eu conscience de balancer à l’extérieur tout un tas d’indices dont des silex taillés. Le CNRS a pris le relais.

« On se pose encore pas mal de questions sur la configuration de la grotte à l’époque », ajoute Jean-Marc Pétillon. « Le plus probable est de penser que nous nous trouvons sur un ancien fond de carrière. Des gens sont venus se servir ici de blocs pour faire des pierres. On ne sait pas quand. Mais il y a beaucoup de gravats. La petite entrée d’aujourd’hui était certainement recouverte et a pu rester discrète. Du coup, la peinture est plutôt bien conservée. Il reste aussi à trouver le porche d’entrée qui s’est certainement écroulé et a scellé la grotte à la fin du paléolithique. »

Les archéologues ont tout rebouché avant de partir. Ils prévoient de revenir. Bientôt.

(1) Il s’agit de la grotte Tastet qui porte le nom de son propriétaire. Non loin de là, la grotte Samson n’a encore rien révélé.

Le musée d’Arudy est une étape incontournable pour ceux qui veulent se plonger dans la préhistoire et l’histoire de la vallée d’Ossau (05 59 05 61 71). Le bâtiment du XVIIe siècle qui l’abrite vaut déjà le coup d’œil. Monument historique, l’hôtel Pouts est l’ancienne abbaye laïque. Ancienne directrice du musée pyrénéen de Lourdes, Geneviève Marsan en assure, aujourd’hui encore, avec passion, l’animation en lien avec la commune, le Parc national et le Pays d’art et d’histoire des vallées béarnaises.

Les expos font écho aux « Sentiers de découvertes » proposés. Le public peut partir sur les traces des hommes qui ont fait et font encore les paysages, la culture d’un pays où on note une occupation humaine régulière depuis -16 000 av. J. C. Les premières traces du pastoralisme remontent à – 5 000 ans av. J. C. Avec ses volcans et ses glaciers, la nature a bien sûr créé cet environnement exceptionnel. Jean-Paul Savé, par exemple, nous accompagne sur les vestiges des coulées des volcans sous marins du bas Ossau. Il suffit de prendre rendez-vous à l’office du tourisme (05 59 05 77 11).

Article de Patrice Sanchez paru dans Sud Ouest le 23/07/13. Source : http://www.sudouest.fr/2013/07/23/cro-magnon-a-peint-iciarudy-comme-point-de-depart-1122187-3980.php

Par Philippe Guillaumie

Un chantier archéologique unique en Aquitaine

Les fouilles, à Ousse-Suzan (40), portent sur une structure exceptionnelle du Bas Empire romain

La fosse sépulcrale de plus de 1 600 ans découverte non loin de la chapelle de Suzan

La fosse sépulcrale de plus de 1 600 ans découverte non loin de la chapelle de Suzan (Philippe Guillaumie)

Longtemps « figés » par la forêt, les sites archéologiques des Landes n’ont jamais été détruits par des travaux de sous-sol mais, dans les années 1980-90, des labours profonds ont fait remonter à la surface des vestiges intéressants. D’où le premier objectif du Cral (Centre de recherches archéologiques sur les Landes), créé en 1984 par Jean-Claude Merlet et Bernard Gelibert : repérer les lieux susceptibles d’abriter des sites archéologiques, la « prospection » consistant à surveiller au maximum les labours forestiers (à noter aussi que, paradoxalement, les tempêtes de 1999 et de 2009, si cruelles et si dévastatrices qu’elles fussent, s’avérèrent un précieux auxiliaire pour l’archéologue…)

Ce travail de prospection, Didier Vignaud, quadragénaire montois passionné d’archéologie et membre bénévole du Cral, le pratique depuis quatorze ans, ce qui lui a permis d’effectuer il y a une dizaine d’années de nombreuses recherches notamment en Pays de Brassenx, à Ygos, Beylongue, Arengosse, Villenave, Ousse-Suzan…

En décembre 2012, il se trouvait à Suzan, non loin de la chapelle, dans une zone ravagée par la tempête Klaus. Il y repéra cinq « unités » bien distinctes au lieu dit Matic. Deux d’entre elles lui parurent particulièrement intéressantes et le ministère de la Culture lui donna l’autorisation d’y effectuer sondages et fouilles qui commencèrent en mai dernier. Le site était visitable ce week-end à l’occasion des Journées nationales de l’archéologie.

Une structure exceptionnelle

« La première “structure” découverte est exceptionnelle car elle est unique en Aquitaine en milieu rural, explique Didier Vignaud. En effet, le torchis brûlé et les fragments de poteries que nous y avons trouvés la situent au IIIe ou IVe siècle de notre ère, au cœur du Bas Empire romain. Or, nous ne connaissons pas la forme d’habitat de cette période en milieu rural. »

« On ne peut pas imaginer ce qu’il y avait exactement ici, mais au vu de la petitesse de l’ensemble et de la quantité de fragments de poteries découverts, il s’agit sans doute d’un élément d’habitat (une pièce ?) d’autant qu’à quelques mètres, nous avons trouvé, lors d’un sondage, un trou de poteau. Peut-être y avait-il ici une ferme ou une résidence secondaire… Le torchis brûlé et de la cendre que nous avons aussi découverte font penser à un incendie qui aurait détruit une partie du bâtiment. Pour en savoir plus, il faudrait faire un énorme ‘‘décapage’’ des fouilles sur 2 hectares, mais est-ce envisageable?

Une tombe de l’an 370

À quelques mètres de là, à la suite de sondages sur la parcelle « pour évaluer son potentiel archéologique », Didier a découvert, « au vu de la dimension, de la forme et de la profondeur », une « fosse sépulcrale » (autrement dit une tombe, mais sans ossements, détruits par l’acidité du sable) avec, « au fond de la fosse, une pièce à l’effigie d’un des deux frères co-empereurs Valentinien (mort en 375) ou Valens (mort en 378). Peut-être « l’obole à Charon » ? (1).

« Grâce à la stratigraphie, on peut lire toutes les phases d’occupation du secteur au fil du temps. D’autres fouilles permettraient peut-être d’avoir une meilleure compréhension de l’état d’occupation de cette zone », conclut Didier Vignaud.

Qu’en sera-t-il des sites de Matic à Suzan ? L’autorisation de fouilles court jusqu’à fin septembre, mais, à la suite du rapport qu’il remettra et qui sera longuement analysé (il faut compter « plusieurs mois de travaux de bureau »), Didier Vignaud espère qu’elles se poursuivront l’an prochain.

(1) Dans la mythologie grecque, Charon était le « nocher des enfers » qui conduisait les défunts vers leur dernier séjour moyennant le paiement d’une « obole » que les parents de la personne décédée avaient placée dans sa bouche…

Article paru dans le quotidien Sud-Ouest  le 11/06/13 (source : http://www.sudouest.fr/2013/06/11/unique-en-aquitaine-1081092-3304.php)

A noter qu’une page Facebook a aussi été créée pour médiatiser ces recherches particulièrement intéressantes.