Entre Buch et Born, quatre villages engloutis
En trente ans, quatre cités sublacustres ont été découvertes entre 7 et 16 mètres dans les profondeurs du lac. Autrefois, il y avait là juste une rivière se jetant dans l’océan.
Avant Charlemagne, il n’y avait pas de lac entre La Teste et Sanguinet. Juste un cours d’eau, La Gourgue, qui s’évasait un peu, comme un estuaire, bougeait beaucoup, et filait vers l’océan. Charlemagne n’est pas pour grand-chose dans ce qui va suivre, c’est juste pour dater. 1 200 ans après l’empereur, dans les années 70, XXe siècle, des étudiants plongent dans le lac Cazaux-Sanguinet, qui devrait d’ailleurs s’appeler Cazaux-Sanguinet-Biscarrosse, sauf que Biscarrosse a eu le privilège exclusif d’un autre lac.
Les étudiants plongent vraiment très profond, enfin pour un lac. C’est le début d’une succession (profusion ?) de découvertes et de fouilles subaquatiques qui se poursuivent toujours. Car on a trouvé là rapidement trois, et récemment quatre, villages engloutis.
Cabanes sur pilotis
Ces bourgs antiques se situent en différents endroits et profondeurs du bec situé à l’est du lac. Juste là où l’on ne sait plus – on ne veut plus savoir – si les eaux sont landaises ou girondines, entre Buch et Born. Et dans cet espace improbable de sables, d’alluvions, de sédiments et de bordure océane, un premier village, Le Put Blanc, 700 ans avant J.-C., avec des cabanes sur pilotis, posées sur des marécages. On est bien avant l’ère chrétienne, sept siècles à attendre Jésus-Christ. Ici, les villageois pêchent, abattent des pins, parfois des chênes, et creusent dans leurs troncs des pirogues monoxyles, dans un seul bloc de bois. Puis le marais prenant le pas sur leur territoire, les pêcheurs sont allés bâtir ailleurs…
À la pointe de la pointe, c’est le hameau de l’Estey, au bord de la rivière antique dont le lit est parfaitement traçable, à plus de 11 mètres. Les artisans y travaillaient le fer, protégés par une enceinte de fûts de bois dont les parties les plus hautes mesurent jusqu’à 7 mètres. Jusqu’à la fin du Ier siècle.
Un pont de bois
Puis plus tard encore, Losa, village à proximité de la voie gallo-romaine. Pour l’atteindre, il fallait franchir un pont au-dessus de la rivière, dont une centaine de pieux serrés restent enfouis sous les eaux du lac. Les voyageurs faisaient étape ici, il y avait une mansio pour les accueillir, un fanum, petit temple dont les fondations subsistent. On y trouvait du goudron de pin, la pitance et la paillasse.
Losa était une des 372 voies recensées dans « L’Itinéraire d’Antonin », premier guide de voyage connu au monde et qui couvrait tout l’empire romain. Depuis le temps d’Auguste, qui a vu la déshérence de Losa gagné par les eaux, le sens de l’accueil le long de la voie littorale n’ a pas varié d’un iota. On est juste remonté de quelques étages. Après le IIIe siècle.
Vestiges d’un temple
Il y a cinq ans, le Cress (Centre de recherche et d’étude scientifique de Sanguinet) qui fouille officiellement depuis 1976, a découvert un quatrième village, Matocq, qui a détrôné, côté ancienneté, le Put Blanc. Matocq, à près de 16 mètres, dans un lac qui, au plus profond, atteint les 23 mètres.
Le Put Blanc, 3 hectares par 13 mètres. L’Estey, pas de traces d’habitations, mais des céramiques, des poteries typiques de la production locale, des fibules… Repêchées en quantité à 8 mètres de fond. Un site parlant. Losa, ville étape, avec ses assiettes, ses cruches, son mobilier urbain, et cet extraordinaire fanum de 12 mètres sur 10, admirablement conservé avec ses murs en garluche de presque 50 centimètres d’épaisseur. À peine à 100 mètres du rivage. C’est le premier des sites découverts, il y a près de trente-cinq ans, grâce à un biologiste, Paul Capdevielle, qui était aussi curieux et passionné d’histoire locale.
« 3 000 ans d’histoire, de l’âge de bronze à l’époque gallo-romaine » résume Bernard Maurin, le fondateur du Cress, qu’il a présidé pendant trente-deux ans. Ici, les archéologues sous-marins se régalent. Ils étudient en même temps l’évolution du cordon lunaire et 3 000 ans d’occupation et de migration humaines. Il faut juste savoir travailler avec un masque et des bouteilles.
Le musée d’archéologie sublacustre de Sanguinet abrite tout le matériel découvert au fond du lac. Et deux des 34 pirogues monoxyles. Des pirogues qui allaient sans doute sur la mer.
Mais pour rêver, il faut surtout lire le merveilleux « 3 000 ans sous les eaux » de Bernard Maurin. Où le savant devient poète.
Pour en savoir plus :Musée ouvert tous les jours, sauf mardi, de 10 h à 13 h et de 15 h 30 à 19 h. Place de la mairie à Sanguinet. 05 58 78 02 33. livre « 3 000 ans sous les eaux », Bernard Maurin. Ed. Gaïa, 1998. revue « Le Festin » n°23/24. vidéo YouTube, mots clés : plongée sanguinet geoffrey pops. Sur le site de l’INA : fresquesina.fr, mots clés : fouilles archéologiques Sanguinet. Internet www.landespublic.org, Interview de Bernard Maurin, mais passer par Google, le site est en accès réservé.
Article d’Is. de Montvert-Chaussy paru dans Sud Ouest le 12/08/13. Source : http://www.sudouest.fr/2013/08/12/entre-buch-et-born-quatre-villages-engloutis-1138927-2828.php
Comme le rappelle en commentaire de bas de page l’un de nous, il n’a en aucun cas été prouvé que les cabanes dont les restes ont été repérées étaient juchées sur pilotis. Les « pilotis » en question sont des poteaux, éléments courants des architecture protohistoriques à base de bois. S’ils sont bien fichés profondément dans le sol, ce n’est pas pour faciliter la suspension d’un plancher, mais bien pour maintenir fermement une charpente dans un sol meuble.
Les lacs alpins sont les lieux où la présence de villages sur pilotis a pour la première fois été suspectée pour le Néolithique en raison du grand nombre de poteaux qui émergeaient en période de sécheresse sur des sites archéologiques sublacustres. Aujourd’hui, on sait que les habitations dans leur écrasante majorité étaient bien situées en bordure des lacs et non au-dessus de l’eau. Les planchers présents étaient parfois surélevés (je parle toujours des sites alpins, pas de ceux de Sanguinet) pour maintenir une sorte de vide sanitaire à l’instar des maisons modernes, mais cela ne correspond plus à l’image traditionnelle développée il y a un siècle des maisons lacustres.
Pour contextualiser le site du Put Blanc, il y a eu une expo à Marquèze il y a un ou deux ans sur l’age du fer dans les Landes de Gascogne : « Six pieds sous terre… il y a 3 000 ans : Archéologie des Landes de Gascogne« . Voilà de la lecture : http://clubdubalen.fr/bibli/6pst.pdf
A lire aussi : « Archéologie en Buch et Born » par François Thierry, paru en 2002 et publié par la Société Historique et Archéologique d’Arcachon.
Enfin, concernant la Protohistoire et l’Antiquité dans les Landes, il convient de consulter Archeolandes le site internet du Centre de Recherches Archéologiques sur les Landes qui fait état des nombreuses recherches menées dans le département depuis bientôt 30 ans. Plusieurs dizaines d’articles sont à y télécharger.