Dany Barraud, 57 ans, rejoint, en qualité d’inspecteur, la Direction générale du patrimoine au ministère de la Culture. Désormais chargé du quart ouest de la France, il va également travailler à la préparation de la loi Filippetti sur le patrimoine, ainsi qu’au livre blanc sur l’archéologie. À l’heure de son départ, retour sur une longue et riche carrière dans la région. Morceaux choisis.
1 Les grandes émotions
« Elles sont nombreuses. La première remonte à 1977. Avec quelques copains, nous avions fondé le Groupement de recherches historiques et archéologiques de Coutras (33), ma commune d’origine. La fouille de la nécropole autour de l’église locale a révélé des sépultures du VIe siècle. Intactes. Les bijoux sont aujourd’hui exposés au musée d’Aquitaine.
Par la suite, en tant que vacataire, j’ai participé aux fouilles de l’îlot Saint-Christoly, à Bordeaux. Un chantier extraordinaire : on y a retrouvé les vestiges de l’ancien port du IVe siècle, avec ses quais en bois et ses entrepôts bien conservés, sur plusieurs niveaux. Je ne peux pas oublier non plus la mise au jour d’une grande ville romaine au cœur du Médoc, à Saint-Germain-d’Esteuil. Les fouilles de la place Camille-Jullian à Bordeaux (1989-1990) sont aussi un souvenir marquant. Elles ont livré les vestiges de la vie de tout un quartier, du Ier siècle jusqu’à l’époque médiévale. Le chantier était totalement ouvert, très suivi par « Sud Ouest » : Patrick Espagnet y avait consacré une douzaine de pages. Un livre sur ces fouilles vient de sortir (1). Mais ma très grande émotion, en tant que conservateur, reste évidemment la découverte, en 2000, de la grotte de Cussac (24) par le spéléologue Marc Delluc : le « Lascaux de la gravure », un site d’un intérêt scientifique mondial majeur, avec des squelettes à l’intérieur, toujours étudié par le professeur Jacques Jaubert. Ça fait quelque chose de pénétrer dans un lieu où personne n’était entré depuis vingt mille ans (2) ! »
2 Des fouilles pas toujours comprises
« On fait facilement à l’archéologie le procès de retarder les chantiers et donc de coûter de l’argent aux promoteurs. Les gens pensent que nous voulons tout fouiller. Ça n’est pas vrai. Nous recevons environ 2 000 dossiers d’urbanisme par an : nous en retenons une centaine, et seule une quarantaine font l’objet de fouilles préventives. Si on travaille bien en amont avec les aménageurs, il n’y a pas de retard. Parfois, cela peut être assez conflictuel. Trouvant que le chantier de la déviation sud de Bergerac (24) n’avançait pas assez vite, le député-maire de l’époque, Daniel Garrigue, avait déposé un amendement parlementaire pour faire modifier la loi sur les fouilles préventives. Le problème était que le tracé, sur le plateau de Pécharmant, recoupait un très riche site du paléolithique. Le Bergeracois, c’était la Ruhr de la préhistoire ! Mais le plus souvent ça se passe bien. Par exemple, en accord avec le promoteur, il n’y aura pas de parking souterrain sous l’îlot « Sud Ouest » (10 000 mètres carrés), au cœur de Bordeaux. Sinon, on aurait détruit le bassin portuaire gaulois et romain de la ville. Il restera enterré. J’ajoute que nous travaillons plutôt bien avec les maires en zone rurale. Car l’archéologie, pour eux, présente aussi un enjeu économique. »
3 Ce qu’il reste à faire
« On peut toujours espérer d’autres grottes ! Mais le grand chantier à venir est celui des deux LGV sud en direction de Toulouse et de l’Espagne, si elles se font : 400 kilomètres de tracé dans des secteurs archéologiquement plus sensibles que pour l’autoroute A 65. On envisage de 80 à 100 fouilles portant sur toutes les époques possibles d’occupation humaine. Par ailleurs, si l’on commence à avoir une vision assez précise du Bordeaux antique, le forum, qui était le lieu de la vie politique, reste à découvrir.
La monumentale porte de Mars, qui marquait l’entrée principale de Périgueux du temps des Romains, n’a pas encore été dégagée. On aimerait bien savoir aussi ce qu’il y a derrière les remparts antiques de Bayonne. Bref, la matière ne manque pas. »
4 Des techniques qui évoluent
« Depuis près de quarante ans que je m’intéresse à l’archéologie, les techniques ont considérablement évolué. Par exemple, à partir de graines, on peut aujourd’hui reconstituer des paysages. La génétique offre de nouvelles opportunités. Le géoradar permet une prospection toujours plus précise. Il existe trois laboratoires d’excellence à Bordeaux, dont la compétence est reconnue internationalement. La législation aussi a bougé : les lois de 2001 et de 2003, la création de l’Inrap (3) nous ont donné les moyens de travailler. Le comportement du public a également changé. Quand nous avons ouvert les sarcophages à Coutras, en 1977, les gens étaient curieux de voir ça.
Aujourd’hui, on nous reproche facilement de ne pas respecter les morts. Pourtant, nous prenons grand soin des restes étudiés et leur donnons une nouvelle sépulture. En réalité, les fouilles sauvent les restes humains de la pelle mécanique. Nous devons aussi être très vigilants face au pillage, qui a déjà donné lieu à des condamnations en Dordogne et dans les Pyrénées-Atlantiques. »
(1) « Un quartier de Bordeaux du Ier au VIIIe siècle », sous la direction de Louis Maurin, éd. Ausonius, 436 p., 20 €. (2) La grotte de Cussac, en Dordogne, est et restera fermée au public. Son relevé numérique est en cours. (3) Institut national de recherches archéologiques préventives.