Source : http://www.sudouest.fr/2016/06/07/sur-les-traces-d-un-mystere-de-la-prehistoire-2390342-2979.php

Sud-Gironde : sur les traces d’un mystère de la préhistoire

Jean-Claude Leblanc, archéo-technologue, spécialiste des techniques anciennes d’alimentation de foyer, allume le feu sous l’œil des pompiers.
Jean-Claude Leblanc, archéo-technologue, spécialiste des techniques anciennes d’alimentation de foyer, allume le feu sous l’œil des pompiers. ©

Fabien cottereau /« Sud Ouest »

Des scientifiques bordelais tentent à Lugasson de résoudre une énigme vieille de plus de 30 000 ans : à quoi servaient les feux gigantesques dans la grotte Chauvet ?.

C‘est un bijou de 38 000 ans découvert par hasard en 1994 et classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Joyau de l’art pariétal du paléolithique, la grotte Chauvet, en Ardèche, abrite un millier de dessins, dont plus de 400 d’animaux. Jusqu’aux récentes découvertes sur la grotte de Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne, ces œuvres comptaient parmi les plus anciennes au monde.

Peut-être prochainement détrônée, Chauvet ne perd rien de sa superbe et suscite toujours d’intenses recherches pour en savoir davantage sur la vie des hommes préhistoriques. Une existence qui conserve ses mystères.

400 °C à 3 mètres de haut

L’un d’eux porte sur des traces de feux gigantesques. À quoi servaient-ils ? Telle est la question sur laquelle planchent 34 scientifiques de 11 établissements de recherches dans le cadre d’un programme baptisé CarMoThap (1).

Un voyage dans le temps piloté par des chercheurs bordelais qui a pour dessein de résoudre cette énigme à partir d’expérimentations menées, notamment, dans une ancienne carrière, à Lugasson, en Gironde.

De ces feux, on ne connaît que les traces qu’ils ont laissées, « uniques dans une grotte ornée », précise Catherine Ferrier, géologue-archéologue de l’université de Bordeaux, qui dirige le programme.

Trop puissants pour cuisiner

Ces stigmates montrent qu’ils étaient énormes. Si gros qu’ils ont changé la couleur de la roche, preuve qu’ils atteignaient une température de 400 °C à plus de 3 mètres de hauteur.

Allumés en plusieurs endroits, y compris dans des galeries éloignées de l’entrée, ils nécessitaient une sacrée dose de combustible. Mais pourquoi les Aurignaciens s’embêtaient-ils à transporter de telles quantités de bois ? « Les fonctions traditionnelles du feu pour cuisiner, s’éclairer ou se chauffer, sur lesquelles nous disposons de nombreuses connaissances, paraissent ici inadaptées », souligne la chercheuse bordelaise. Même pour un mammouth à la broche, de tels feux semblent en effet démesurés !

150 kilos de bois utilisés

Dans l’espoir d’y voir plus clair, les scientifiques s’attachent à reproduire le phénomène. Après de premières expériences réalisées en extérieur et en laboratoire, ils sont passés au mode souterrain.

Voilà quelques jours, une nouvelle expérimentation était lancée à Lugasson, un site prêté gratuitement par un particulier passionné de préhistoire. Et qui présente des similitudes avec l’une des cavités de Chauvet : la galerie du mégacéros. Pour la première fois, un feu gigantesque a embrasé la caverne.

L’expérience a mobilisé une vingtaine de personnes. Des universitaires bordelais, toulousains et parisiens, mais aussi des pompiers du Groupe d’intervention en milieu périlleux de Gironde, préposés à l’alimentation du feu, et des experts en incendie du laboratoire central de la préfecture de police de Paris.

Ce program-me pluridisciplinaire est une occasion pour eux de réaliser des observations pouvant servir sur de futures enquêtes.

Rien n’est laissé au hasard. L’ancienne carrière a été équipée d’une cinquantaine de capteurs de température d’humidité et de caméras. La quantité de bois a été pesée à la brindille près. 150 kilos doivent être brûlés en près de deux heures.

De l’art du feu

« Le feu est alimenté au fur et à mesure par des fagots de pins sylvestres, le bois utilisé à Chauvet. Chaque fagot est identique. Le feu étant un phénomène très complexe, la maîtrise du combustible est très importante », explique Delphine Lacanette, enseignante-chercheuse en mécanique.

Concluante, l’expérience doit désormais être décortiquée et modélisée numériquement. « Elle nous permettra d’avancer sur la manière dont ces feux étaient alimentés et de savoir s’il était possible de rester à côté sans s’asphyxier », expose Catherine Ferrier.

Trois hypothèses

Mais permettra-t-elle de percer le mystère ? « Nous n’arriverons peut-être pas à dire quelle était la fonction de ces feux, mais nous apporterons de nouveaux éléments à la discussion. De nouveaux indices », poursuit la chercheuse.

« Aucune hypothèse n’est exclue », ajoute Jean-Claude Leblanc, archéo-technologue de l’université Paul-Sabathier, à Toulouse, et spécialiste des techniques anciennes employées par les hommes préhistoriques pour entretenir un foyer.

Trois pistes se détachent : celle de feux de protection contre des prédateurs, comme l’ours des cavernes qui fréquentait aussi Chauvet, celle de feux servant à produire le charbon dur utilisé pour dessiner sur les parois et celles de feux pour des rituels inconnus.

(1) Caractérisation et modélisation des thermo-altérations et des résidus de combustion sur les parois.

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