Intéressante mise au point parue ce jour dans le quotidien Sud-Ouest à propos du phénomène érosif touchant le littoral atlantique aquitain. L’historien du climat Emmanuel Garnier (et ancien élève du grand historien Emmanuel Leroy-Ladurie) tord le coup à quelques idées reçues et les arguments ne sont pas sans rappeler ceux de Gilles Granereau, écologue chargé de mission Natura 2000 à l’agence landaise de l’ONF -et par ailleurs membre du conseil de la Société de Borda-. Ce dernier avait publié il y a quelques années l’ouvrage L’affaire climatique et il est auteur de nombreux articles notamment Tempêtes et érosion marine dans les Landes : des phénomènes inédits ou récurrents? (dans : Bull. Soc. Borda, Dax, 2015, 140e année, n°518, 2, 3 graph., p. 199-212.) dont le propos illustre parfaitement l’article de Sud Ouest dont voici un aperçu (source : http://www.sudouest.fr/2016/06/06/climat-l-excuse-commode-2389328-2780.php) :

Côte atlantique : le climat, l’excuse commode

Dans son édition du 5 mai 1934, « La Petite Gironde » alerte sur le recul des dunes. 80 ans plus tard, le sujet reste à l’ordre du jour.
Dans son édition du 5 mai 1934, « La Petite Gironde » alerte sur le recul des dunes. 80 ans plus tard, le sujet reste à l’ordre du jour. ©repro. e. Garnier

L’historien du climat Emmanuel Garnier souligne la récurrence des submersions sur la côte atlantique au cours des siècles. Le danger qui pèse sur l’urbanisme littoral serait le fait de l’imprévision, pas du réchauffement

Historien du climat, Emmanuel Garnier est directeur de recherche CNRS au laboratoire Littoral, environnement et sociétés (LIENSs) de l’université de La Rochelle. Fin connaisseur des épisodes de submersion marine survenus par le passé, il est membre du conseil scientifique Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (ministère de l’Écologie), du Conservatoire du littoral et d’AclimaTerra (Région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes). Il participe à des programmes de recherche européens et nationaux et collabore avec des réassureurs sur la question des risques littoraux.

« Sud Ouest » On a beaucoup parlé d’une série de tempêtes sans précédent sur le littoral atlantique lors de l’hiver 2013-2014. Comment l’analysez-vous ?

Emmanuel Garnier : À la faveur de cette série effectivement notable, on a semblé découvrir le risque qui pèse sur notre littoral. Selon le BRGM (NDLR : Bureau de recherches géologique et minière), on n’a jamais constaté un recul du trait de côte comparable depuis 1958, l’année de départ de sa base de données. Pour tirer des conclusions, encore faudrait-il remonter plus loin dans l’histoire.

Versés aux Archives départementales de la Gironde, les documents rédigés dans les années 1920 et 1930 par les techniciens du Port autonome de Bordeaux (NDLR : devenu Bordeaux Port atlantique) sont très éclairants. Ils sont marqués du sceau de l’objectivité. Leurs auteurs n’avaient aucun intérêt à minorer ou à surévaluer les dommages. À la lumière de leur examen, on observe que le recul « incomparable » du trait de côte de l’hiver 2013-2014 est tout à fait comparable à ce qui a été décrit à l’époque ! La presse de 1934 titre même : « Le Bas-Médoc est-il destiné à disparaître ? »

Que nous apprennent plus généralement les documents anciens ?

On peut établir une liste de 23 événements météorologiques destructeurs qui provoquent une érosion du littoral et des inondations dans l’estuaire de la Gironde de 1840 à 1940. Ils peuvent être comparés et classés sur une échelle commune à partir de la description des dommages. À chaque fois, les conséquences sont importantes : des brèches dans les systèmes de digues, des inondations à l’intérieur des terres et un recul du trait de côte.

Pouvait-on prévoir la ruine inéluctable de l’immeuble Le Signal, à Soulac-sur-Mer dans le Médoc ?

En novembre 1927, des maisons s’écroulent sur le front de mer de Soulac-sur-Mer, en raison du recul des dunes provoqué par la tempête. On y assiste à un retrait brutal du trait de côte dans les années 1920 et 1930, jusqu’à une dizaine de mètres lors de la seule tempête des 18 et 19 novembre 1927. Ce qui, à l’époque, remet en cause le développement urbain de Soulac. Et pourtant, on y construit l’immeuble Le Signal quarante ans plus tard !

Pourquoi, dès lors, insiste-t-on sur le caractère inédit des grandes tempêtes depuis le début du XXIe siècle ?

Il y a une part de stratégie de communication des décideurs locaux et nationaux qui minorent ainsi les erreurs d’aménagement côtier. Mettre en avant le caractère inédit d’un événement ou d’une série d’événements, c’est favoriser l’idée qu’on ne pouvait pas les prévoir ! Alors qu’il est bien évident qu’on n’a pas attendu l’hiver 2013-2014 pour découvrir le phénomène d’érosion de la côte sableuse en Aquitaine comme en Charente-Maritime, ni les inondations estuariennes.

Quelle est la part du réchauffement climatique ?

Sur nos côtes, les événements extrêmes ne sont pas des indicateurs fiables du changement climatique. Dès lors, il est très paradoxal de voir les élus, le ministère de l’Écologie comme les médias y chercher une explication. Désigner le changement climatique comme unique responsable contribue, en négatif, à avaliser plusieurs décennies d’urbanisation déraisonnable.

Pourquoi les catastrophes font-elles plus de dégâts de nos jours ?

La catastrophe est une construction sociale. C’est un terme intimement lié à la notion de société. Par le passé, si une submersion marine associée à une tempête inondait l’intérieur des terres sans perturber les activités humaines, ce n’était pas une catastrophe. À aléa météorologique égal, celle-ci est aujourd’hui de plus en plus coûteuse en raison de l’augmentation de la vulnérabilité liée à l’urbanisation et à la destruction de défenses plus durables comme les zones humides, les dunes boisées ou encore les écluses à poissons.

Si ces événements sont appelés à se répéter, comment s’y adapter ?

L’Europe du Nord n’a pas connu le long répit de l’après-guerre qui a effacé les désastres plus anciens de notre mémoire collective. Des submersions meurtrières de la mer du Nord ont frappé les Pays-Bas, l’Allemagne et la Grande-Bretagne lors de l’hiver 1953. Au lendemain de ces drames, ces pays ont choisi de se protéger mais aussi de reculer face à la mer. Or je constate qu’en France, nous fossilisons déjà le souvenir de la tempête Xynthia.

On considère qu’on va régler le problème en construisant et en rehaussant les digues. Mais l’endiguement est un défi permanent, un travail éternellement recommencé. Les coûts sont très élevés et l’expérience historique prouve qu’une absence de submersions catastrophiques justifie un moindre suivi des ouvrages. C’est toute l’histoire de l’entretien des ouvrages de défense contre la mer après-guerre sur l’arc atlantique. La posture de l’État est quelque peu schizophrénique. Il finance des digues et il préconise en même temps un retrait de l’urbanisation littorale.

Faut-il opter pour des défenses plus modestes ?

L’endiguement pharaonique n’est pas la solution. L’effort n’est pas soutenable techniquement ni fiscalement. La question foncière complique le problème, parce que les communes préféreront toujours ériger des ouvrages massifs pour protéger les biens menacés dont la valeur est importante. De nombreux exemples européens en témoignent, l’endiguement ne peut que provoquer le dégraissage rapide du sable des plages. Endiguer, c’est à terme aggraver le problème, le déplacer chez les voisins et mettre en péril la rente touristique.

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