Le quotidien Sud Ouest se fait l’écho d’une conférence présentée par l’historien de la forêt landaise Jacques Sargos à Hourtin (33) (source : http://www.sudouest.fr/2016/03/12/qui-etait-reellement-jules-chambrelent-2298778-2907.php)

Qui était réellement Jules Chambrelent ?

Jacques Sargos dédicace ses livres après la conférence.
Jacques Sargos dédicace ses livres après la conférence. ©

Photo R. B.

Lors de sa conférence, l’historien Jacques Sargos a donné de l’ingénieur une image beaucoup moins flatteuse que de coutume.

Le nom de Jules Chambrelent est des plus familiers aux Hourtinais puisque ce patronyme est au fronton du collège de la commune depuis des décennies. Jules Chambrelent est aussi connu pour être, avec Nicolas Brémontier, autre ingénieur des Ponts et chaussées, le « père » de la forêt landaise en étendant la forêt dans la plaine intérieure toujours insalubre, sous l’effet de la loi de 1857 soutenue par Napoléon III.

Lors de sa conférence « Histoire de la forêt landaise », donnée vendredi dernier à l’invitation de l’association Demain Hourtin Mon Village, l’historien des Landes Jacques Sargos, dont les écrits font référence en la matière, ne manqua toutefois pas de donner une image différente de Jules Chambrelent. Né à la Martinique en 1817, dont la gloire attribuée par « l’Histoire officielle, simplificatrice et réductrice » ne saurait faire oublier qu’il ne fut que celui qui formalisa au bout du compte l’ensemble des travaux initiés depuis bien longtemps par de nombreuses personnalités landaises.

Jacques Sargos de rappeler d’abord que le pin maritime existait depuis l’Antiquité sur la bordure océane et était cultivé par les Gaulois avant que les invasions barbares ne ravagent ces plantations. Pendant des siècles, les sables, qui ne rencontrent plus d’obstacle, vont s’amonceler et créer un large bassin de rétention des eaux, la région restant un marécage quasi désertique et malsain. Mais dès la fin du Moyen age, les habitants des zone côtières ont su planter les pins pour fixer l’avancée des dunes.

Au début du XIXe siècle, les landes de Gascogne possèdent déjà de belles pinèdes d’où l’on tire du bois et des produits résineux. Jacques Sargos réfute la légende selon laquelle « le massif gascon aurait été semé à la vitesse de la foudre par deux ou trois bienfaiteurs, sous l’œil médusé des indigènes ».

Un imposteur ?

Déjà en son temps, Nicolas Brémontier avait profité, et passé sous silence, des travaux de l’abbé Desbiey, de l’ingénieur de la marine Charlevoix de Villers ou de l’inspecteur des travaux Peyjehan pour passer à la postérité.

L’historien, après un long et minutieux travail d’analyse de documents, réfute également la tradition qui fait de Jules Chambrelent l’inventeur du système de drainage et du réseau de crastes ayant permis au boisement d’envahir l’ensemble du pays. Remarqué par Napoléon III, il s’approprie ainsi la paternité de la loi de 1857 relative à l’assainissement des Landes de Gascogne, alors que le rôle de l’empereur a été prépondérant en la matière. Surtout il souligne que la postérité a indûment attribué à Chambrelent une gloire qui n’est due qu’à l’ingénieur Henri Crouzet, par exemple, l’invention des puits filtrants… mais ce dernier, très modeste, n’a rien écrit, à l’exception de rapports administratifs, dont Jacques Sargos a pu toutefois prendre connaissance. Chambrelent, lui, a laissé un livre « Les Landes de Gascogne », « véritable apologie de son œuvre ou de celle qu’il s’attribue ».

Chambrelent, très en cour, eut aussi son historiographe en la personne d’Edmond About qui l’a campé dans son roman « Maître Pierre » où il est facile de reconnaître l’ingénieur des Ponts et Chaussées sous le masque du paysan gascon ! Crouzet a aussi eu son apologiste, J. B. Lescarret, avocat à Bordeaux, mais de faible notoriété. Et Jacques Sargos de s’interroger.

« Si Edmond About avait rencontré Crouzet, l’oublié, le méconnu serait peut-être bien aujourd’hui Chambrelent ! ».

Robert Boivinet

S’il n’est pas envisageable de douter des compétences de Jacques Sargos, grand spécialiste de l’histoire de la forêt landaise, il convient de revenir sur des éléments évoqués dans l’article.

_ « le pin maritime existait depuis l’Antiquité sur la bordure océane » : le pin maritime existait en fait depuis le Néolithique, soit plusieurs millénaires avant l’Antiquité, comme le prouvent depuis les années 80 plusieurs analyses de pollens conservés au plus profond de tourbières landaises et girondines. Ensuite, le pin existait partout, de la côte jusqu’au milieu des terres dans le Marsan, autre renseignement hérité des analyses palynologiques et pas seulement sur la côte comme on le croyait au milieu du XXe siècle. Enfin, le pin n’était pas l’arbre roi de la forêt landaise comme des générations de forestiers ont voulu le faire croire : avant l’époque moderne et depuis la fin du Néolithique, le chêne était l’essence d’arbre la plus représentée, que ce soit sur des terrains égouttés ou périodiquement humides.

Document-1-page8(image tirée de la publication d’Elodie Faure et Didier Galop « La fin du paradigme du désert landais : histoire de la végétation et de l’anthropisation à partir de l’étude palynologique de quelques lagunes de la Grande Lande » parue dans les actes du colloque de Sabres « De la lagune à l’airial« )

_ « le pin maritime (…) était cultivé par les Gaulois » : il n’y a aucune preuve que les Aquitains (et non les Gaulois) cultivaient le pin, pas plus que les Gaulois ne le cultivaient ailleurs (chez les Gabales par exemple). En revanche, la résine était exploitée durant l’Antiquité et probablement sous l’impulsion des Romains : jusqu’ici, aucun site archéologique n’indique une exploitation de la résine avant le 1er siècle de notre ère dans la zone landaise. La production de résine répond à des besoins inhérents à la vie à la romaine, comme celui d’étanchéifier les bâteaux en assemblage de planches (les Aquitains utilisaient des pirogues) et les amphores vinaires.

_ « avant que les invasions barbares ne ravagent ces plantations » : déjà, il y a un problème de sémantique, puisque l’on ne parle plus en Histoire d’invasions barbares mais de migration des peuples pour les évènements intervenus au cours du Bas Empire. Ensuite, toujours pareil, il n’y a aucune preuve qu’existaient dans le sud-ouest des « plantations » de pins : ces derniers étaient là naturellement. Enfin, il n’y a aucun argument aujourd’hui pour considérer que la forêt landaise a disparu du jour au lendemain entre le Bas Empire et l’Antiquité tardive, encore moins sous la main de supposés « barbares ». Comme le rappelle la frise ci-dessus qui repose sur des analyses palynologiques publiées dans l’article de Faure et Galop évoqué précédemment, la disparition d’une partie de la forêt landaise au profit de la lande est un processus amorcé dès l’Age du Bronze, qui s’est accéléré à l’Age du Fer pour devenir une constante à l’époque antique. Au Moyen Age, la lande est dominante : c’est l’aboutissement, non d’une catastrophe humaine ou climatique, mais d’un choix économique. En effet, la lande n’existe que par l’entretien constant des communautés agropastorales, par défrichement et écobuage. Une fois cet entretien interrompu, la forêt regagne progressivement le terrain. Contrairement à un slogan matraqué en bord de routes landaises, OUI, il y a une forêt landaise sans les forestiers.

Ce qui est étonnant, c’est que la lecture de l’ouvrage de Jacques Sargos « Histoire de la forêt landaise » est beaucoup plus nuancé que les éléments de l’article que nous avons discutés. A se demander si l’article reprend véritablement pour cette partie ce que Jacques Sargos en a dit ou ce que le correspondant en a compris. Mystère.

 

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