Si nos sociétés occidentales s’indignent régulièrement de fonctionnements sociétaux inégalitaires et exotiques (on pourrait évoquer l’Inde et sa caste des Intouchables), c’est pour mieux oublier que nous-mêmes, Occidentaux, avons par le passé (et nous continuons à le faire) exclu des populations pour des raisons souvent aberrantes. Kaskarots, Cagots, Juifs, Protestants il y a plusieurs siècles, Roms aujourd’hui. Est-ce un moyen de se sentir mieux? de sentir la force du groupe en pointant du doigt ceux qui sont différents? La machine à exclure n’est pas près de s’éteindre, malheureusement et toute initiative menée pour chasser les préjugés, permettre de mieux comprendre l’Autre est louable et salutaire en ces temps de crispation identitaire (s’il fallait évoquer un chercheur ô combien émérite, nous citerions Emmanuel Filhol qui s’est attaché dans plusieurs publications –notamment celle-ci– à étudier ce fonctionnement pathogène de nos sociétés consistant à exclure). Ainsi en est-il de cette conférence organisée à Saint-Jean-de-Luz autour d’un élément important du patrimoine ethnologique aquitain, les Kaskarots. Le quotidien en rapporte les lignes de force dans un article (source : http://www.sudouest.fr/2015/11/09/la-trace-indelebile-des-kaskarots-dans-la-ville-2179214-4383.php)

Saint-Jean-de-Luz : la trace indélébile des kaskarots

L’historien local, Jacques Ospital, et l’anthropologue Alain Reyniers, se sont succédé samedi matin, à la Grillerie du port.
L’historien local, Jacques Ospital, et l’anthropologue Alain Reyniers, se sont succédé samedi matin, à la Grillerie du port. ©

A. L.

Samedi matin, deux conférences portant sur le peuple tzigane ont permis de revenir sur l’intégration de ces bohémiens basques et leur apport économique à la ville

«Gitans, Tziganes, manouches, bohémiens, roms… Autant d’appellations pour désigner ces populations, ayant en commun une origine indienne, dont les langues initiales proviennent du Nord-Ouest du sous-continent indien et qui constituent des minorités vivant entre l’Inde et l’Atlantique », a expliqué Alain Reyniers, anthropologue et spécialiste de l’histoire des Tziganes en Europe, samedi, au cours d’une conférence organisée par la Ville et l’association Gadjé-Voyageurs 64 (1).

Ici, à Saint-Jean-de-Luz, on les appelle les kaskarots. C’est ce qu’a expliqué l’historien local, Jacques Ospital, qui est revenu sur l’histoire de ces descendants de bohémiens basques, fortement implantés dans la ville, au XIXe siècle notamment. « Cela nous semble important de soutenir l’histoire locale, marquée par la relation très forte entre les Tziganes et les Luziens », précise Michel Molina, président de l’association, qui rappelle aussi qu’un problème de stationnement pour les gens du voyage sédentaires et de passage est toujours d’actualité (2).

Des femmes courageuses

C’est donc dans un « contexte crispé et revendicatif » que l’association a voulu présenter l’histoire de toutes ces populations, « souvent mal aimées » dans la société, ajoute Alain Reyniers : « Ils apparaissent comme des personnes dangereuses, du fait de leur vie nomade. Mais d’autres griefs leur étaient attribués, comme la fainéantise puisqu’ils n’avaient pas d’économie qui s’inscrivent dans le temps. »

Un rejet qu’ont aussi connu les kaskarots, dès leur arrivée à Saint-Jean-de-Luz, au XVIe siècle, explique Jacques Ospital. « Leur intégration a pris deux siècles, en dépit du ressentiment de rejet. »

Progressivement, la communauté fut considérée comme excessivement utile. Tandis que les femmes « extrêmement courageuses et vaillantes » étaient filetières et vendeuses de poissons, les hommes embarquaient sur les bateaux de pêche. « Hommes et femmes faisaient vivre la cité. Et c’est ainsi qu’ils se sont intégrés dans la société. Ce qui se passait sur les bateaux a aussi renforcé les liens et, petit à petit, les kaskarots se sont mélangés avec la population basque. »

« L’ambiance a changé »

Si leur intégration a pris plusieurs dizaines d’années, les kaskarots ont laissé une trace indélébile sur la ville : « Dès leur installation dans le centre-ville, ils représentaient la partie vivante de la commune. Les femmes avaient une gouaille incroyable, elles étaient espiègles. Il y a cinquante ans, il y avait de la joie dans Saint-Jean-de-Luz », raconte Jacques Ospital, avec nostalgie. « Mais l’ambiance a changé. Le prix de l’immobilier a contraint ces familles à quitter le centre-ville, pour aller s’installer plus loin. »

Alors reste-t-il encore des kaskarots ? « Tout dépend de son histoire personnelle, estime l’historien local. Certains se disent fièrement descendant de kaskarots, d’autres non, de peur d’être victimes de préjugés. » Ce que combat l’association Gadjé-Voyageurs 64 : « Notre but est de sensibiliser les gens, notamment avec ces conférences, et en créant des rencontres avec des manouches », précise Michel Molina. « Combattre les préjugés prend du temps, c’est un travail de déconstruction et d’explication de la vie des Tziganes, ajoute Alain Reyniers. Cela passe aussi par l’éducation et par l’intégration de leur histoire dans celle nationale. On se réfugie trop vite dans des certitudes, sans voir au-delà. »

(1) L’association vise l’insertion sociale et professionnelle des gens du voyage.

(2) La principale aire de passage est celle d’Acotz qui peut accueillir environ 50 caravanes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Post Navigation